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Surdoué du cirque, moins que rien dans son pays

Surdoué du cirque, moins que rien dans son pays

Si le festival Montréal complètement cirque célèbre en ce moment le talent de centaines d'acrobates, le documentaire québécois Rue de la Victoire montre une tout autre réalité pour l'artiste de cirque tunisien Mohamed Dhiaa Gharbi. Bien que surdoué, Mohamed Dhiaa Gharbi passe presque pour un moins que rien dans son pays.

Un texte d'Antoine Aubert

« En Tunisie, il y a les itinérants, puis juste au-dessus, on trouve les artistes de cirque. Pour eux, c'est un freak show dans la rue », raconte la réalisatrice Frédérique Cournoyer Lessard en entrevue. Même la propre famille de Mohamed Dhiaa Gharbi dresse ce constat. « Ce n’est pas de la mauvaise volonté ou un manque d’amour. C’est juste trop étranger pour eux », ajoute la cinéaste québécoise de 29 ans, qui vient elle-même du milieu du cirque et qui signe ici son deuxième documentaire.

Pourtant, l'histoire de Mohamed Dhiaa Gharbi aurait pu être digne d'un conte de fées. En 2003, le jeune homme, alors âgé de 16 ans, avait été accepté à l’École nationale des arts du cirque de Tunis, qui venait d’ouvrir. Les spectacles se sont enchaînés, mais peu à peu, son rêve s'est mis à pourrir de l’intérieur à cause de la corruption, avant de s'annihiler lors de la révolution en 2011. L'événement a mené à la fermeture de l’école.

Un autre mur d'incompréhension en France

Repéré avec d’autres Tunisiens par Jef Odet, cofondateur du Cirque Farouche-Zanzibar, en France, Mohamed a pu fuir le chaos et traverser la Méditerranée pour continuer à vivre de sa passion. Toutefois, un nouveau mur se dressait, et le Tunisien n’est jamais parvenu à trouver sa place dans ce pays où la culture est si différente de la sienne. Les scènes liées aux préparatifs des spectacles tournées par Frédérique Cournoyer Lessard montrent une tension sous-jacente entre Arabes et Européens, là encore causée par une profonde incompréhension.

La réalisatrice a croisé la route de l’artiste tunisien en janvier 2012, à Dole, dans le Jura français. Elle dit avoir été « hypnotisée par ce personnage plein de contrastes, tellement attaché à ses racines traditionnelles musulmanes, mais qui prône une démarche artistique si contemporaine ». De là est partie l'idée d'un portrait, qui a pris plusieurs années avant d'aboutir.

Il a notamment fallu attendre que Mohamed Dhiaa Gharbi se sente prêt à retourner dans sa famille, rue de la Victoire, à Ezzahra, dans la banlieue de Tunis où il a grandi. Ces retrouvailles, qui se sont passées en 2014, forment les première et dernière parties du documentaire, entrecoupées par un bond dans le passé, quelque peu déconcertant, au sein de la troupe de cirque française.

Quelques-unes des images tournées avant son retour en Tunisie avaient été choisies par l'artiste, qui voulait montrer son travail à sa famille. La scène de la projection, dans le salon de ses parents, est la plus poignante du film. Si sa mère laisse transparaître ses émotions, les rires et les blagues des frères retentissent comme une violente attaque.

Elles illustrent également les paroles de Jef Odet, quelques minutes auparavant, dans le documentaire.

Ce sera toujours difficile pour lui, car il [mène un] combat [contre] sa famille, sa culture, son vécu. […] Il devrait être une grande star. Mais il a été cassé à l'endroit où il devait être le plus virtuose.

Le Québec aurait pu l'accueillir

En regardant le documentaire, on ne peut s’empêcher de penser que ce talent unique aurait eu toute sa place au Québec, où l'art du cirque est bien reconnu. L'évocation de cette idée jette un voile de tristesse dans les yeux de Frédérique Cournoyer Lessard : « On l’avait convaincu de venir il y a quelque temps, mais l’inscription à l’école de Québec a échoué. Aujourd’hui, il est trop tard, il a 31 ans ». Le protagoniste du documentaire n’aura même pas eu l’occasion d’assister à la présentation du film à Toronto, au festival Hot Docs, au printemps, car l’ambassade du Canada a refusé de lui accorder un visa.

Revenu en Tunisie après de multiples déceptions en France, Mohamed Dhiaa Gharbi rêve désormais de faire revivre le cirque dans son pays. En plus de présenter des spectacles « alimentaires » dans un hôtel, il est allé à la source du problème en donnant des cours aux enfants, notamment dans des écoles. « Ce ne sera pas dans deux ans qu'il y aura une troupe professionnelle en Tunisie, mais tranquillement, les graines vont être semées pour que la mentalité du cirque soit acceptée dans la population », croit Frédérique Cournoyer Lessard.

Selon elle, l’histoire de Mohamed a pris une bonne tournure : « Je pense qu’il est à sa place en ce moment. Je l’espère profondément. »

Le documentaire Rue de la Victoire est sorti vendredi dans les salles québécoises. Il fait également partie du « Volet Off » du festival Montréal complètement cirque.

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