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L'histoire méconnue du célèbre roman Menaud, maître-draveur, qui fête ses 80 ans

L'histoire méconnue du célèbre roman Menaud, maître-draveur, qui fête ses 80 ans

Le 14 juin 1937 paraissait la première édition de Menaud, maître-draveur, du curé Félix-Antoine Savard. Elle marquait le début du destin incroyable de ce roman du terroir devenu incontournable, mais dont le texte a subi plusieurs transformations, au gré de l'évolution littéraire de son auteur et de l'histoire politique du Québec.

Un texte d'Antoine Aubert

Le Québec de juin 1937, dirigé depuis moins d’un an par Maurice Duplessis, vit alors une période de nationalisme fort, y compris dans le monde littéraire. Voilà pourquoi le public et les critiques s’enthousiasment à la sortie d’un roman où le héros est un draveur de Charlevoix, inspiré à Savard par un homme des bois rencontré dans cette région.

Porté par la lecture de Maria Chapdelaine, de Louis Hémon, ce personnage mène un combat désespéré et mystique contre l’appropriation des terres des Canadiens français par des Anglais. Cette lutte l’amène à tomber dans la folie, ne finissant que par hurler « Des étrangers sont venus ».

Une référence dans la littérature québécoise vient de naître. On y voit alors « un chef-d’œuvre qui exprime l’âme de la nation », indique, en entrevue avec Radio-Canada, François Ricard, professeur de littérature à l’Université McGill dont le mémoire de maîtrise a porté sur le livre.

Si une nouvelle édition est publiée en 1938, toujours chez Garneau à Québec, les modifications ne sont que légères. L’auteur « a enlevé les italiques utilisés pour les canadianismes. Dans sa critique par ailleurs très élogieuse, Claude-Henri Grignon lui a reproché de faire comme s’il s’agissait de termes rares », indique François Ricard.

1944 : une première révolution

La première vraie « refonte » de Menaud, maître-draveur a lieu en 1944. La trame narrative ne change pas. En revanche, le style, lui, n’est plus le même : les envolées lyriques de Savard font place à un style très classique, presque sec.

Selon François Ricard, les raisons de ce revirement sont doubles. D’une part, le vicaire est devenu entre-temps un professeur de littérature à l’Université Laval. Ainsi, « ses goûts changent, il est un fervent lecteur d’un auteur comme Paul Claudel et il trouve son livre trop baroque ».

D’autre part, le roman entre dans la nouvelle collection Nénuphar de la maison d’édition Fides. Le but consiste à réunir les œuvres de base de la littérature québécoise, d’où la recherche chez Savard d’un style qui satisfera les puristes.

Néanmoins, le public s’intéresse moins au destin de ce Menaud départi de son folklore. Les années suivantes, « Félix-Antoine Savard tombe quelque peu dans l’oubli », raconte François Ricard.

Un symbole pour les jeunes nationalistes

Sous la pression de ses amis et aussi parce que les goûts de l’auteur évoluent encore, une nouvelle édition, que l’on peut qualifier de définitive, voit le jour en 1964. Beaucoup d’éléments de 1937 y sont repris, formant un équilibre entre les deux précédents Menaud.

L’écrivain attache un soin particulier à cette nouvelle version où les champs et les bois sont de nouveau propices à des moments poétiques. Dans son journal, Félix-Antoine Savard écrit vouloir « la laisser à la jeune génération comme un bien précieux », rapporte le professeur de littérature de l’Université Laval Aurélien Boivin dans la préface du livre tel qu’il a été publié chez Fides en 2012.

Les jeunes, justement, ne vont pas décevoir l’écrivain. Son Menaud retrouve de sa superbe puisqu’il correspond aux aspirations du nouveau mouvement nationaliste québécois. Selon François Ricard, « les jeunes marxistes de la revue Parti pris le redécouvrent et se reconnaissent » dans le livre du fondateur de la paroisse de Saint-Philippe-de-Clermont.

Voilà Félix-Antoine Savard, pourtant né au 19e siècle, être considéré comme un écrivain apportant un souffle littéraire nouveau, au même titre que les « vrais » jeunes Marie-Claire Blais, Hubert Aquin et Réjean Ducharme. Au cours des années suivantes, il est une référence que les aspirants écrivains viennent consulter.

Toutefois, l’histoire d’amour finit mal. Le père du nationaliste Menaud en déçoit en effet plus d’un – dont le poète Gaston Miron – quand il appelle à voter « non » au référendum de 1980, tenu un peu plus de deux ans avant sa mort, en août 1982.

Pour François Ricard, il n’y là aucun paradoxe. Savard représente un nationalisme à l’ancienne. « Il a toujours pensé qu’il avait le droit à tout le Canada, pas seulement au Québec », précise-t-il. Pour autant, Menaud, le draveur exalté, ne sera plus jamais une figure phare des indépendantistes.

Que reste-t-il de Menaud, maître-draveur en 2017?

Quatre-vingts ans plus tard, surpris qu’on s’intéresse encore à cet ouvrage, lui qui l’imaginait être désormais l’affaire de seulement quelques spécialistes, le professeur de McGill n’en oublie pas pour autant l’importance littéraire du roman. Il voit dans le personnage de Menaud l’équivalent d’un Don Quichotte ou d'une madame Bovary.

Menaud a été chamboulé par un livre – Maria Chapdelaine – et il ne voit plus la réalité telle qu’elle est. Il a une obsession du passé. C’est un personnage tragique.

Le style, lui, après tant de remaniements, fait encore débat. « Certains ne peuvent pas le supporter », reconnaît François Ricard. D’autres, comme lui, y voient une belle réussite, où les voix des bûcherons et des draveurs y sont magnifiées, « un peu comme Homère en avait fait de même avec les marins ».

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