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Quand le géant Netflix ébranle le Festival Cannes

Quand le géant Netflix ébranle le Festival Cannes

Le monstre Netflix, de toute évidence, ne recule devant personne et tente de faire comprendre qu'il compte bien installer son modèle d'affaire dans le monde du cinéma. La réaction a été immédiate, le Festival de Cannes, les distributeurs et propriétaires de salles ont brandi leurs armes, prêts à résister.

On en parle beaucoup cette année sur la Croisette. Il y a controverse. Il y a même dissension au sein même du jury alors que le président, l’Espagnol Pedro Almodovar, s’insurge devant le fait qu’un film présenté à Cannes ne soit pas distribué en salle pour n’être vu que sur Netflix. De son côté, un des membres de ce même jury, la star Will Smith, prend le parti de Netflix en affirmant que cette plateforme qui propose des films et des séries télé en flux continu sur Internet permet à des tas de gens qui ne vont pas au cinéma de voir des films qu’ils ne verront jamais autrement.

Bref, la bataille est pognée, et l’affaire, plus compliquée qu’il n’y paraît.

On se retrouve ici en pleine révolution technologique alors que les défenseurs du septième art, pour qui le cinéma ne peut vivre d’abord qu’en salle, s’opposent à un dévoreur d’images qui, en plus de faire l’acquisition de certaines œuvres comme Divines, caméra d’or à Cannes l’an dernier, diffusée presque uniquement sur sa chaîne, s’est désormais tourné vers la production s’accordant ainsi tous les droits ou presque.

À quoi peut-on s’attendre quand un réalisateur aussi prestigieux que Scorsese tourne en ce moment, grâce à la machine Netflix, The Irishman, mettant en vedette Robert de Niro et Pacino ou qu’un long métrage avec Brad Pitt fait désormais partie du catalogue du diffuseur?

Rappelons que cette année sont présentés à Cannes deux longs métrages, Okja, du coréen Bon Joon-ho, et The Meyerowitz Stories, de Noah Baumbach de Netflix. Les deux seront distribués par le géant et présentés dans des cinémas, de façon presque aléatoire, sur certains territoires sans toutefois prendre l’affiche en France, par exemple, et sûrement pas au Canada.

La bataille n’est pas simple et ne se joue pas seulement sur le plan des idées. Voici donc un cas où le principe et la tradition s’opposent à une logique commerciale, voire économique.

Pour avoir été critique de cinéma pendant plus de 15 ans, je reconnais que l’expérience cinématographique sur grand écran, dans une salle noire, ne se compare à rien d’autre. Le film y révèle ses forces comme ses faiblesses, sa richesse aussi, et l’art prend toute sa dimension en créant un lien unique entre le spectateur, noyé dans la pénombre et l’action qui défile sur la toile. Le cinéma, dans ce contexte, c’est plus que le rêve, c’est un refuge. Mon adolescence n’aurait pas été la même si je ne m’étais pas tapi dans les salles noires de mes nuits blanches.

Le Festival de Cannes, qui célèbre depuis 70 ans cet art qu’on dit le septième, est en droit de protester. Netflix se joue la mouche du coche. Le festival a donc raison de revoir ses règles et sa sélection en fonction d’une sortie obligatoire en salle. C’est son droit et tout à son honneur de résistant, même s’il risque d’en payer le prix en voyant lui échapper à l’avenir les Scorsese de ce monde.

Cela dit, la mutation est enclenchée. Les plateformes numériques dont Netflix, qui est présente sur 190 territoires, ont ouvert une boîte de pandore. Désormais les règlements doivent changer et peut-être même que des lois culturelles devront être revues, corrigées et votées.

Il y a donc principe et réalité. Le principe, on le connaît, c’est l’art. La réalité, elle, c’est qu’en agissant de la sorte, en s’appropriant à coups de millions des films qu’il acquiert ou produit, Netflix assène les premiers coups de couteaux à une industrie qui avait l’habitude de faire la pluie et le beau temps, du moins aux États-Unis. Ailleurs, comme au Canada et au Québec, la situation est plus préoccupante parce que les distributeurs tout comme les propriétaires de salles se retrouvent pris en otage et privés d’une partie de leurs revenus.

Ajoutons à cela que le géant du numérique, qui voit croître le nombre de ses abonnés ici comme ailleurs de manière exponentielle, offre très peu de produits locaux à l’extérieur des frontières américaines. Il n’existe pratiquement pas de partenariat avec nos chaînes de télé. Enfin, le désir de règlementer Netflix en territoire canadien en l’obligeant par exemple à verser des redevances, à contribuer au Fonds des médias du Canada ou tout bonnement à verser taxes et impôts semble jusqu’à maintenant tout à fait illusoire. Évidemment, d’autres plateformes peuvent voir le jour.

En attendant, la guerre peut être menée, mais…

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