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Philippe Falardeau sur le ring

Philippe Falardeau sur le ring

Le cinéaste québécois est retourné aux États-Unis pour y filmer l'histoire de Chuck Wepner, l'inspiration derrière le personnage de Rocky. Nous l'avons rencontré pour en savoir plus.

En 1975, Chuck Wepner, un vendeur d’alcool du New Jersey, réussit un exploit : tenir 15 rounds face à l’invincible champion du monde poids lourds à la boxe, Muhammad Ali. Si l’histoire est vraie, elle est surtout connue du grand public grâce à Sylvester Stallone, qui l’a romancée pour en faire le sujet du mythique film Rocky.

Et c’est cette histoire vraie, pleine de sang, de sexe et de fureur, de très hauts et de très bas, qu’a décidé de raconter Philippe Falardeau dans Chuck.

C’est l’acteur Liev Schreiber qui a porté l’idée de Chuck pendant longtemps. Qu’est-ce qui vous a intéressé lorsqu’il vous l’a proposée?

Ça faisait une dizaine d’années qu’il la portait, et le producteur avant lui, quand il me l’a proposée. Il y avait une urgence de faire le film parce que Liev vieillissait et qu’il n’allait plus pouvoir jouer quelqu’un de 35 ans encore bien longtemps. Ça m’a intéressé parce qu’il y a chez moi une américanité, comme chez tous les Québécois. Une grosse partie de notre culture télévisuelle et cinématographique est nord-américaine. J’ai aussi aimé le fait qu’il y avait à travers ce personnage une fable sur les affres de la célébrité. On vit aujourd’hui dans une société obsédée par la célébrité : celle des autres, mais aussi celle qu’on voudrait avoir sur les réseaux sociaux. Et il y avait dans ce projet une mise en abîme du pouvoir du cinéma et de la mythologie de la boxe au cinéma. Tout ça me plaisait. En plus, j’avais la possibilité d’explorer pour une première fois un personnage qui avait plus de défauts que de qualités. Ça m’a attiré aussi, même si en fin de compte, on lui pardonne ses gaffes, parce qu’il a un charisme et une qualité d’innocence qui fait qu’il n’en est pas conscient. Il est juste assoiffé d’attention.

Justement, votre cinéma n’a-t-il presque pas toujours été marqué par un goût pour les antihéros, pas forcément sympathiques?

La bonté du personnage principal de Monsieur Lazhar a supplanté tout le reste de ma cinématographie. Ça a donc fait oublier qu’il y avait un antihéros un peu paresseux dans La moitié gauche du frigo, un usurpateur dans Congorama, un enfant troublé et morbide qui essaie de se suicider dans C’est pas moi, je le jure!. Mais l’effet Monsieur Lazhar a aplati tout le reste! Pourtant, je dirais au bout du compte que Chuck est davantage la norme en ce qui concerne mes intérêts, parce que ça traite beaucoup d’identité. Je revendique totalement le désir que j’avais à faire ce film que je qualifierais de sale et sexy.

C’est votre premier film interdit aux moins de 18 ans. Est-ce qu’on a plus de plaisir à réaliser un tel projet?

Oui! On le réalise une fois que c’est fini, en tout cas Mais en cours de route, c’est tout aussi difficile à réaliser. C’est un film qui a été tourné avec un très petit budget, à New York, et dans lequel il fallait recréer l’époque où se passe l’histoire. Un casse-tête! En plus, Liev devait passer trois heures par jour à se faire maquiller et à se faire poser des prothèses. À cause de ça, 28 jours de tournage se sont transformés en 20! Ce n’était pas facile. Mais le fait de ne pas avoir d’inhibitions dans la mise en scène, sachant qu’on s’adressait à un public adulte, c’était le fun.

On sent d’ailleurs un grand plaisir de votre part dans le travail de reconstitution des années 70, en particulier de toute la mythologie du cinéma de ces années-là, comme celui de Martin Scorsese.

Quand j’ai lu le scénario, j’ai eu tout de suite envie d’utiliser de vraies archives. Et je savais que je devais créer une esthétique où elles allaient pouvoir s’intégrer sans que ça donne l’impression d’un disque qui saute. Ensuite, évoquer la vie de cet homme qui a existé demandait de construire une courbe dramatique assez serrée, avec une structure narrative qui va de l’avant, ce que Scorsese fait très bien, par exemple. Pour l’introduction, je dirais que je lui ai emprunté cette idée de compresser, de mettre la table, de donner de l’information aux spectateurs, avec un montage rapide, de la musique et une voix hors-champ. Contrairement à beaucoup de gens, j’adore les voix hors-champ. Je trouve que les Américains font très bien ça, sans jamais être introspectifs à la mords-moi-le-nœud. Leurs voix hors-champ sont des locomotives, elles donnent une musicalité et un rythme au film. C’est ce que j’ai essayé de faire ici.

Votre expérience précédente aux États-Unis, avec le film The Good Lie, ne s’était pas nécessairement très bien passée. Pourquoi avez-vous voulu y retourner?

Chaque expérience est unique avec les producteurs et les acteurs. Je crois que d’une certaine façon, The Good Lie était trop ambitieux. Il y avait deux films en un, avec la partie africaine et l’autre, américaine. En plus, j’ai voulu tourner avec des non-professionnels, ce qui a créé un décalage. Et avec le budget qu’on avait, les producteurs se sont mis à vouloir contrôler certaines choses, entre autres la musique, un élément que je referais différemment aujourd’hui. Non que je n’aime pas le travail de Martin Léon, mais on était contraints d’aller vers quelque chose d’un peu trop sirupeux. Dans le cas de Chuck, la proposition était claire. On n’allait pas faire du sirupeux avec Chuck Wepner! Je suis aussi arrivé avec une proposition à prendre ou à laisser. Au début, pour avoir des crédits d’impôt, on m’a envoyé en Louisiane. J’en suis revenu en disant : « Il y a peut-être une version du film qui existe en Louisiane, mais vous allez trouver un autre réalisateur. » Ils m’ont donc laissé tourner à New York, comme je le voulais. Et après ça, j’avais un autre outil formidable, qui s’appelle Liev Schreiber. Finalement, c’est lui qui m’a embauché. Il avait vu Monsieur Lazhar, il savait que ça voulait dire que j’étais capable d’injecter une dose d’humanisme dans ce personnage. Même lorsqu’on n’était pas d’accord, on discutait et on arrivait toujours à quelque chose de plus intéressant. Et lorsque j’avais des choix créatifs à défendre, surtout en montage, j’avais Liev en arrière de moi, comme une espèce de garde du corps poids lourd. (Rires.)

On entend souvent les réalisateurs étrangers dire des acteurs américains que ce sont des Rolls-Royce. Avez-vous également eu ce sentiment?

Il y a de très bons acteurs au Canada aussi. Mais je dirais que c’est un autre monde. Les acteurs américains bénéficient du fait que leurs films sont montrés partout dans le monde et donc, partout, les gens sont habitués au genre de films qu’ils font. Leur type de jeu est accepté universellement. Bien sûr, il y a des mauvais acteurs dans le lot! Mais ceux qui deviennent des stars, ce n’est pas pour des raisons fortuites. Liev Schreiber, Naomi Watts et Elizabeth Moss, la révélation du film selon moi, en font partie. Il y aussi les acteurs de second rôle, comme Ron Perlman, Michael Rapaport, qui a probablement une des plus belles scènes du film, ou encore Morgan Spector, cet acteur que j’ai trouvé pour interpréter Sylvester Stallone – c’était un défi de le trouver, ça m’angoissait beaucoup. Le fait de travailler avec ces gens-là dans une autre langue que le français me permet aussi d’élargir ma palette et de rêver de travailler avec d’autres acteurs américains ou d’ici. Je me sens très privilégié sur ce point-là.

Chuck Wepner avait un rapport pour le moins compliqué à Rocky. Quel est le vôtre?

Il est double. Jeune, quand j’ai vu le film, je l’ai trouvé fascinant parce que c’était un des premiers où le héros perdait à la fin. Stallone, en l’écrivant, était plus proche de la tragédie grecque que d’un film hollywoodien. C’est aussi un film d’espoir, humaniste, sans être trop sirupeux. Maintenant, quand je le regarde aujourd’hui, Stallone et les autres acteurs sont encore très bons, mais les scènes de boxe ne tiennent plus la route. Les coups de poing n’atteignent absolument pas leur cible. La boxe au cinéma n’est pas comme celle dans la vraie vie. Nous, on a pris le parti de calquer notre match sur la réalité, donc il ne se passe pas grand-chose.

D’après vous, qu’est-ce qui rend la boxe si cinématographique?

Il y a une violence intrinsèque dans la boxe. Dans les films, la violence est souvent gratuite. Dans un match de boxe, elle est acceptée par convention et donc, tu peux y aller sans te faire reprocher sa gratuité. Et puis, il y a une idée très simple et très noble là-dedans qui est celle du duel. Comme au tennis. D’ailleurs, j’aurais voulu faire un film sur Andre Agassi, à partir de son livre Open, mais ça n’a pas marché. Mais pour revenir à la boxe, le cinéma exige une thématique simple. Si on se met à faire plusieurs couches, on se casse la gueule. La boxe est simple. Le but du boxeur est d’aller vers l’avant, de gagner. Le boxeur vient souvent d’un milieu difficile ou défavorisé. Il est souvent entouré de requins, de promoteurs pas nets, et il a différents problèmes à surmonter. Et comme dans tout sport individuel, l’opposant principal, c’est lui-même. Par exemple, dans le cas d’Eugenie Bouchard, sa principale adversaire, c’est son mental. Le boxeur doit être extrêmement fort mentalement. Et c’est très attrayant dramatiquement.

Finalement, y a-t-il eu un moment dans votre carrière où vous vous êtes senti laissé-pour-compte (l’underdog, en anglais), comme Chuck?

Chuck prend l’affiche le vendredi 19 mai. La bande-annonce (source : YouTube).

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