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Bonne fête Montréal : le trop gros cahier de charges

Bonne fête Montréal : le trop gros cahier de charges

ANALYSE – Il y avait près d'une heure que le spectacle Bonne fête Montréal était commencé, quand La Bronze, Ariane Moffatt, Martha Wainwright, Kim Richardson et Lulu Hughes ont joliment interprété Aimons-nous, d'Yvon Deschamps. Derrière elles, de magnifiques photos tirées de l'album-photos « Portraits de Montréal » défilaient sur les écrans. Ma foi, ça pourrait résumer la soirée.

Un texte de Philippe Rezzonico

Le « show privé » – pour citer le metteur en scène Serge Denoncourt – du 375e anniversaire de Montréal présenté mercredi au Centre Bell, était l’équivalent d’un gros album de photos que l’on consulte au gré de nos préférences. On regarde avec attention certaines pages et on fait impasse sur d’autres.

N’importe quel producteur vous le dira : il n’y a rien de plus ardu que de mettre sur pied un spectacle collectif où le cahier de charges est immense. Et je ne suis pas sûr que j’en ai jamais vu un qui en comportait autant que celui de Bonne fête Montréal. Pensez-y… Survoler en un peu moins de trois heures avec quelque 90 artistes l’apport culturel d’une ville comme Montréal. Tâche titanesque.

La ville et ses habitants

Encore faut-il s’avoir ce que l’on célèbre. Parfois, Bonne fête Montréal célébrait la ville par l’entremise de ses chansons. Tantôt, c’était les artistes eux-mêmes qui étaient mis en lumière, même si leur apport au spectacle n’avait plus rien à voir avec la ville du Sieur de Maisonneuve et de Jeanne Mance.

Exemple. L’Orchestre métropolitain et son dynamique chef Yannick Nézet-Séguin ont été les premiers à se produire. Ici, c’est le fils prodige qui brille à l’international et son institution montréalaise que l’on acclamait à haut cris. Parce qu’un prélude d’un opéra de Wagner – très bien joué, au demeurant – pour amorcer un spectacle portant sur Montréal, ça semble loin de la cible.

Même constat durant le pétaradant numéro visant à souligner l’apport de Montréal au mouvement disco durant les années 1970. Formidable interprétation de Kim Richardson de MacArthur Park avec une voix plus « Donna Summer » que la légendaire disparue. Et carton généralisé pour Marie-Mai, La Bronze et Ariane Moffatt avec les immortelles que sont I Will Survive, Bad Girls et autres Enough Is Enough. Impeccable.

Mais expliquez-moi comment on peut faire un numéro soulignant l’apport de Montréal au disco sans interpréter Love Is The Air, la chanson popularisée par John Paul Young dont la reprise fut un succès monstre pour Martin Stevens, né à Verdun? Ou ne pas évoquer le méga succès international Dancer, de Gino Soccio, un Montréalais de souche?

Les nuits de Montréal

Si le long pot-pourri lié aux époques antérieures de Montréal était de fort bon ton, ici, c’est la prestation qui était variable.

Elle fut parfaite dans le volet années 1950 et 1960. Jacques Normand étant disparu et Donald Lautrec n’étant vraisemblablement pas disponible, Michel Louvain est venu briller de tous ses feux pour Les nuits de Montréal, Un jour, un jour (la chanson-thème de l’Expo 67, avec images couleurs en arrière-plan) et La Ronde (« Emmène-nous à la Ronde…). Ce qui a permis au public d’entonner cette dernière chanson en cœur. Très réussi.

À l’inverse, si Beau Dommage n’était pas de la partie (personne n’a songé à leur demander de reprendre du service pour un soir?), il n’y avait vraiment personne parmi ce groupe de talent pour interpréter – même en version écoutée – Le Blues d’la Métropole et Tous les Palmiers? Parce que Guy A. Lepage, la chanson, ce n’est pas son truc. Passe encore quand il pastiche volontairement Stayin’ Alive avec la voix de Madame Brossard, mais pas du Beau Dommage. Please.

En revanche, Lepage a été parfait dans son rôle d’animateur de soirée et spectaculairement vache dans ses monologues qui étaient du niveau de ceux de la première période de RBO, quand tout était permis. D’ailleurs, tous les humoristes étaient à leur mieux. Après tout, c’est la marque de commerce de Juste Pour Rire, le producteur du spectacle.

Blagues sur le Plateau Mont-Royal, le trafic, le transport en commun, le sexe, la politique, les créations montréalaises : Lepage, Louis-José Houde, Gad Elmaleh et Laurent Paquin – en Denis Coderre – ont rivalisé de talent et d’humour, tout en étant très près de l’actualité. Il fallait voir le « maire Coderre » quitter en pointant les membres de l’Orchestre Métropolitain : « Oubliez pas! Vous travaillez pour moi. »

Montagnes russes

Ironiquement, c’était en partie le problème de ce spectacle. En alternant constamment entre humour et musique, on a passé la soirée à casser le rythme, comme si nous étions dans des montagnes russes ou en train de rouler dans les rues éventrées de Montréal. Et ça, c’est sans compter sans les changements stylistiques.

Belle audace de la part des artistes de fusionner les univers, même si ça a mené à des résultats mitigés. L’Orchestre métropolitain très bien enrobé Rois de nous (La Bronze) et superbement soutenu le baryton Étienne Dupuis lors d’une somptueuse interprétation de Nessum Dorma. La touche d’humour, c’était la vue des cônes orange sur écran avec la surimpression « Nous vaincrons ». Tordant.

La cantatrice Lyne Fortin a été moins heureusement en reprenant Les feux d’artifices t’appellent, de l’opéra Prima Donna de Rufus Wainwright, quand un problème de sonorisation a torpillé l’offrande. Rufus, sa sœur Martha, ainsi que ses tantes Anna et Jane McGarrigle, étaient bien sûr sur place. On ne peut pas évoquer Montréal sans le clan McGarrigle-Wainwright. La complainte pour Sainte-Catherine, entonnée par toute la famille, et Going To A Town, avec Rufus au piano et avec l’OM, ont été magnifiques. Tout comme le Hallelujah, de Leonard Cohen. Que des voix féminines et l’image du grand et récent disparu sur écran, avec la scène baignée de lumière.

Bien sûr, on savait déjà avec la présence de Robert Charlebois, de Diane Dufresne et d’Ariane Moffatt que quelques chansons « montréalaises » allaient être de la partie. La grande Diane, crâne rasé – ou maquillage stupéfiant, j’étais assis trop loin pour être sûr –, nous a interprété une version dramatique du Parc Belmont.

Pour sa part, la Montréal d’Ariane, a été quelque peu métissée avec le concours de Boogat, mais pas autant que Je reviendrai à Montréal, de Charlebois, qui a été interprétée en plusieurs langues en conclusion.On y revient toujours. Le cahier de charges. C’était vrai pour les langues, les genres musicaux et même la représentation générationnelle. Et ça peut marcher. Parfois. Quand tu as des super vedettes de chaque génération… Que dis-je? De chaque siècle, comme Michel Louvain ou Marie-Mai. Mais quand tu as un public qui n’est absolument pas celui des Dead Obies, il n’y a rien à faire.

Donc, au gré de tes préférences, tu tournes les pages du gros album de photos dont je parlais plus haut. Et certaines images resteront en tête. Mais pas les autres.

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