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Dominique Chaloult: l'instinct de la télé (ENTREVUE)

Dominique Chaloult: l'instinct de la télé
Courtoisie

Dominique Chaloult n’aime pas avoir les projecteurs braqués sur elle. Tous les intervenants du milieu de la télévision vous le diront : lors des événements de presse, la dame se dépêche à prononcer son court mot de bienvenue, puis se hâte à tendre le micro à ses collaborateurs, souvent en baissant les yeux et en riant timidement, évidente illustration de son authentique simplicité.

Nullement flamboyante, la directrice générale de la télévision de Radio-Canada avoue sans gêne être éminemment plus à l’aise dans son écurie, en jeans, sans maquillage, à bichonner ses chevaux qu’elle adore, que dans les événements mondains, dans lesquels on la rencontre rarement.

«Je ne suis pas clinquante, lance-t-elle avec aplomb. Ce que j’aime de ma job, c’est de pouvoir accomplir des idées sans avoir 12 personnes à convaincre et avoir du fun avec les gens qui m’entourent, mais les cocktails, on ne me voit jamais là. Je ne vais jamais dans les premières. D’autant plus que je travaille sept jours par semaine : je visionne sans arrêt, je regarde les produits de quatre chaînes, de Radio-Canada, d’ARTV, d’Explora, de Tou.tv, toutes nos dramatiques et nos variétés… S’il fallait en plus que j’aille m’épivarder dans les cocktails et les premières, je ne m’en sortirais jamais!»

La chance aux filles

Jeudi, Dominique Chaloult était l’une des lauréates du 25e gala de l’association FCTMN (Femmes du cinéma, de la télévision et des médias numériques), célébration qui souligne chaque année l’apport significatif de femmes dans le domaine audiovisuel québécois. Et déjà, le mercredi, elle prédisait qu’elle serait «ultra mal à l’aise» de recevoir tel hommage devant ses pairs de l’industrie.

Pourtant, sa présence parmi les honorées allait de soi. Non seulement Dominique Chaloult s’affaire depuis maintenant une trentaine d’années à faire mûrir et évoluer nos petits écrans avec un instinct et un flair qui lui sont propres, mais elle le fait aussi en allouant à la gent féminine la place qui lui revient. Dans son comité de direction de 10 personnes à Radio-Canada, 8 sont des femmes.

C’est avec une grande fierté qu’elle parle des femmes qui l’ont inspirée : sa mère, Francine Chaloult, première attachée de presse au Québec, qui compte entre autres Céline Dion dans sa clientèle; sa belle-mère, Colette Chabot, présidente fondatrice de CIME FM, dans les Laurentides, qui fut la première femme en Amérique du Nord à recevoir un permis de radiodiffusion; sa tante, Suzanne Lévesque, animatrice émérite; Claire Lamarche, qui lui a donné sa première chance comme productrice, et Michèle Fortin, qui lui a accordé sa confiance à titre de directrice des programmes de Télé-Québec.

Elle décrit également avec bonheur ses «petites filles», des talents qu’elle a repérés au fil du temps - alors que «ça sortait de l’école, à leurs débuts de carrière» - qu’elle a catapultés et qui brillent depuis une quinzaine d’années dans leur créneau respectif, dont Marie-Soleil Michon, la réalisatrice Isabelle Garneau (Like-Moi), la régisseure Mélanie Félix, la productrice Nathalie Laberge (Occupation double, Les 400 coups), ainsi que Marie-Claude Wolfe, Sophie Morasse et Christiane Asselin, qui font tous partie de son équipe à Radio-Canada. Des Jean-René Dufort et Jean-Philippe Wauthier doivent aussi leur ascension devant la caméra à Dominique Chaloult.

«Je dis souvent qu’au fond, je suis un gars. J’aime m’entourer de femmes, parce qu’elles sont très perfectionnistes. Elles prennent des notes, elles n’oublient rien. Moi, puisque je suis plus créatrice, en quelque sorte, j’ai besoin de femmes solides près de moi. Et je n’ai pas peur de m’entourer de femmes très solides, pour pallier à mes défauts. Parce que je connais mes forces et mes faiblesses. J’ai un lien avec les hommes au niveau de la créativité, et j’adore travailler avec les femmes, parce qu’elles ont des qualités exceptionnelles que, moi, je n’ai pas tant. Je ne suis pas une vraie fille (rires).»

Dominique Chaloult s’enorgueillit du fait que le monde de la télévision n’en soit pas un machiste, même s’il y reste, comme ailleurs, quelques plafonds de verre à briser.

«Je trouve que, dans le milieu de la télévision, les femmes grimpent beaucoup, de plus en plus. Il manque encore de femmes réalisatrices, je trouve, et il n’y a pas encore assez de femmes animatrices. J’essaie de donner des chances à des filles, à des femmes. Il faut faire un effort dans ce sens-là. Mais au niveau des autres sortes de travail en télé, ça va bien. C’est positif», constate Dominique Chaloult.

Embarquer dans le train

À écouter parler l’humble capitaine du gros navire radio-canadien, sa carrière n’est qu’affaire de circonstances, de timing et d’opportunités. Elle salue et souligne les perches que lui ont tendu non seulement les Colette Chabot, Michèle Fortin et Claire Lamarche, mais aussi les Stéphane Laporte, Mario Clément et Louis Lalande, qui l’ont propulsée plus loin, sans pratiquement jamais mentionner ses propres forces et compétences.

«C’est drôle, parce que je n’ai jamais eu de plan de carrière, et tout m’est arrivé. J’ai été chanceuse», philosophe-t-elle, en omettant toutefois modestement de mentionner qu’on crée aussi sa chance, dans une certaine mesure.

Car Dominique Chaloult possède dans son jeu des atouts qui ne s’achètent pas : du pif, de l’audace, le courage de prendre des risques et d’en assumer les conséquences. Des vertus qu’elle a démontrées partout où elle est passée. Mais elle insiste que c’est quasi par hasard qu’elle chausse aujourd’hui d’aussi grands souliers.

En 1978, elle a 19 ans et est affectée à la mise en ondes de nuit à CIME FM. Puis, elle passe à CKAC, où elle assume les fonctions de discothécaire. En 1986, elle devient, selon ses dires, «la femme du boss», Pierre Arcand, aujourd’hui Ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles au sein du Parti libéral du Québec, avec qui elle forme toujours un couple.

«Ce sont des affaires qu’on ne verrait plus maintenant (rires). Ce serait vraiment épouvantablement mal vu. Mais, à l’époque, j’étais discothécaire, lui était directeur général, on est tombés en amour et, thank God, on est encore ensemble, et on a deux beaux enfants. Donc, il y a des fois où ça peut bien tourner, ces histoires-là», résume-t-elle avec le sourire, avant de poursuivre.

«Mais j’étais tannée d’être «la femme du boss». Donc, je suis partie travailler en télé. C’a été comme un hasard, dans ma vie.»

Elle fait ses premières armes comme recherchiste avec Pierre Pascau, Pierre Nadeau et Claire Lamarche. Elle côtoie cette dernière à TVA pendant six ans et gravit quelques échelons à ses côtés. De recherchiste, elle passe chef recherchiste, puis productrice. Fin des années 90, Stéphane Laporte, en train de construire une formule déjantée qui portera le nom de La fin du monde est à 7h, décèle chez elle un certain guts, pour ne pas dire un guts certain, et lui confie le projet.

«De prendre la fille qui venait de Claire Lamarche, c’était très, très hasardeux, comme choix», indique Dominique Chaloult.

Elle continue de travailler avec Marc Labrèche au Grand blond avec un show sournois et au Cœur a ses raisons, tout en développant Infoman. Après un court séjour de quelques mois à la direction de la programmation de TVA, Mario Clément, qui occupe alors les fonctions qu’elle sert aujourd’hui, l’invite à traverser la rue et à devenir directrice du secteur des variétés de Radio-Canada, un mandat qu’elle honorera pendant cinq ans, de 2004 à 2009. Elle s’octroie ensuite une pause d’un an pour donner un coup de main à sa fille qui vient d’avoir un bébé. Puis, elle lance sa compagnie de production, La boîte de Prod.

«Ça, je pense que… J’ai trouvé ça dur, admet-elle en rigolant. Ce n’est pas facile.»

L’aventure aura été de courte durée, mais c’était pour permettre à Dominique Chaloult de mieux rebondir à Télé-Québec, où elle a été directrice générale des programmes pendant deux ans. À la station de la rue Fullum, elle brasse la cage et insuffle une dose de pep à la programmation. Sitôt entrée, elle enchaîne les dévoilements enthousiasmants : Les Bobos, Dis-moi tout, Un chef à la cabane, Ça vaut le coût, Cuisine futée, parents pressés, etc. Tant et si bien qu’on peut véritablement parler d’un «avant» et un «après» Dominique Chaloult à Télé-Québec.

Un tel dynamisme allait nécessairement attirer l’attention de la compétition et, fin novembre 2014, Louis Lalande, jadis vice-président des services français de Radio-Canada, annonçait la nomination de Dominique Chaloult en tant que directrice générale de la télévision de Radio-Canada, suite au départ de Louise Lantagne, quelques semaines plus tôt.

«Je n’ai jamais eu l’ambition de faire ce que je fais. Je n’ai jamais été une fille ambitieuse. J’ai seulement embarqué dans les bons trains au bon moment. Mais je ne me suis jamais dit, moi, à 20 ans, que j’allais être big boss d’une station de télé ou de quoi que ce soit. Les choses venaient comme elles venaient», explique posément Dominique Chaloult.

«Mais je n’ai jamais hésité à relever un défi qui m’était présenté, poursuit-elle. J’ai été chanceuse, parce que les défis se sont présentés à moi sans que j’aie été obligée de les demander. Quand ça m’a été offert d’aller à Radio-Canada, il y a deux ans et demi, j’étais bien à Télé-Québec. Mais je ne pouvais pas refuser ça. C’a été la même chose quand Madame Fortin m’a offert le poste à Télé-Québec. J’avais ma compagnie, que je venais de vendre à Attraction. Mais je me suis dit : il faut que j’embarque dans ce train-là.»

Les embûches qui se sont dressées sur son chemin au fil de son parcours, Dominique Chaloult ne les devait pas au fait d’être une femme, mais bien à sa position de «fille de» (Francine Chaloult), «nièce de» (Suzanne Lévesque), «conjointe de» (Pierre Arcand), «belle-sœur de» (Paul Arcand) et même, pourquoi pas, «demi-sœur de» (Rafaële Germain). Il lui aura fallu beaucoup de patience et d’huile de bras pour imposer à la fois son nom, son prénom et son identité propres.

«J’ai été tout ça pendant plusieurs années. Maintenant, je suis Dominique Chaloult, mais c’a pris du temps. Il y a des jobs que je n’ai pas eus parce que j’étais la fille de Francine Chaloult. Je me souviens, à l’époque où je travaillais avec Claire Lamarche, j’avais appliqué à Ad Lib ; je voulais changer, mais le réalisateur m’avait dit qu’il ne pouvait pas m’engager, que j’étais en conflit d’intérêts à cause de ma mère. Même à Télé-Québec, en étant la femme d’un ministre, c’a parfois causé des problèmes. Alors, j’ai été obligée de patauger beaucoup à cause de ma famille. Et je ne renie pas ma famille! Ce sont aussi des gens qui m’ont donné des exemples extraordinaires.»

Elle ne croit pas qu’il en aurait été tellement différent si elle avait plutôt été le «fils de», le «neveu de», le «conjoint de», le «beau-frère de» ou le «demi-frère de».

«Ça n’aurait rien changé. Ça aurait été aussi dur, j’en suis certaine. Devant ça, je ne suis pas fâchée que mes enfants fassent totalement autre chose dans la vie», s’esclaffe celle dont le fils est athlète équestre de haut niveau et propriétaire d’une écurie et la fille, psycho-éducatrice.

Esprit d’équipe

Fille de télé, Dominique Chaloult? Surtout d’idées, nuance la principale intéressée, qui prend davantage son pied à matérialiser les mille et un concepts qui foisonnent dans son esprit qu’à mener son entourage à la baguette.

«Malgré que j’aie un poste avec beaucoup de responsabilités, je suis beaucoup une fille de création. Les gens autour de moi, avec qui je fais affaire, peuvent le dire. J’ai des idées. Et c’est pour ça que j’aime avoir le travail que j’ai. Pas tant pour le pouvoir; le pouvoir ne m’excite pas. Ce qui m’emballe, c’est d’avoir la possibilité de mettre en œuvre les idées qui m’allument. Et ça, c’est fantastique. Je n’ai pas grand-monde à convaincre si je décide que je veux faire quelque chose. Après, si je fais des erreurs, j’en subis les conséquences. Ce sont mes propres erreurs et mes propres décisions. Ça, c’est un luxe extraordinaire, pour moi, dans le travail que j’ai, la chance de mettre en place les idées que j’ai. J’aime jumeler des gens improbables ensemble, des auteurs avec des producteurs, par exemple. Ce sont des choses que j’adore faire, que mon boulot me permet de faire.»

Quelles qualités exige-t-elle des gens qui travaillent avec elle?

«J’aime les gens qui ont de l’initiative. Ça prend une qualité de détail, parce que je ne suis pas dans le détail. Et les gens d’équipe. J’aime travailler en équipe, vraiment. Les gens avec qui je vais rire. Moi, si je ris, ça va bien», avance-t-elle, justement en éclatant de rire.

Professionnellement, que reste-t-il à Dominique Chaloult à accomplir, à l’intérieur des murs de Radio-Canada ou ailleurs?

«Je suis probablement à ma dernière job. Je suis vieille, je vais avoir 58 ans. Je vais devenir has been bientôt! J’ai toujours l’énergie pour faire ça encore quelques années. C’est une grosse, grosse job, ça demande beaucoup. Après, je vais aller faire de l’élevage de chevaux et m’occuper de mes petits-enfants», laisse-t-elle tomber avec, encore, l’humilité qui fait sa marque de commerce.

Gala 25e anniversaire du FCTMN

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