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Quand pourra-t-on vraiment faire notre deuil du Spectrum de Montréal?

Quand pourra-t-on vraiment faire notre deuil du Spectrum de Montréal?

Regardez cette photo. On y voit un panneau publicitaire qui annonce un projet de tours de bureaux à venir dans le Quartier des spectacles. Personnellement, la seule chose que je vois, c'est le terrain vague derrière le panneau. Celui où se dressait le Spectrum.

Oui, ce Spectrum-là. Le seul. L’unique. Celui qui se trouvait rue Sainte-Catherine, pratiquement à l’intersection de la rue De Bleury. La meilleure salle de spectacle à Montréal, selon deux ou trois générations d’amateurs de musique et de festivaliers assidus.

Le Spectrum, dont on a fermé les portes il y aura 10 ans le 5 août prochain. Dix ans… Une décennie! Et la seule chose qui trône en lieu et place, c’est ce panneau. Une aberration, s’il en est une. Et pourtant, rappelez-vous, il y avait urgence. Si, si… Retour en arrière.

En 2007, on a appris que le Spectrum allait fermer ses portes à la fin de l’année. Bien des observateurs de la scène musicale s’en doutaient avant que la nouvelle ne soit rendue publique. Spectra, qui, en 1982, avait revitalisé le Club Montreal et l’avait rebaptisé Spectrum, avait un bail emphytéotique avec la société immobilière SIDEV jusqu’au 30 novembre 2007. Et la bâtisse, vétuste, avait besoin de sérieuses rénovations. À l’époque, le président de Spectra, Alain Simard, avait parlé d’une consolidation chiffrée à plus de 1 million de dollars. On n’a pas rénové.

Il y a bien eu un projet de bâtir un nouveau Spectrum dans l’édifice commercial à venir. Ça aussi, c’est tombé à l’eau. SIDEV a même proposé à Spectra de fermer la salle avant la fin du bail. On a donc fermé boutique aux petites heures le 6 août 2007, quand les derniers amoureux de cette salle l’ont désertée. Un peu avant quatre heures, pour ma part.

Normalement, l’histoire devrait s’arrêter là. Bien au contraire, c’est à ce moment que le roman-savon immobilier a commencé.

Une démolition qui tarde

Comme plusieurs, je m’attendais à voir les bulldozers raser la bâtisse dans les semaines, voire dans les jours qui ont suivi. Après tout, on venait de fermer la salle à la va-vite… Nenni. Rien à l’horizon. L’été a passé, les feuilles d’automne sont apparues et le Spectrum, avec ses plaques de bois dans ses portes, était toujours debout lors des premières neiges, au jour de l’An 2008 et même au printemps suivant.

J’ai toujours pensé qu’il avait manqué un devis technique quelconque pour la nouvelle construction prévue ou qu’un obèse de la paperasserie logé dans le sous-sol de l’hôtel de ville de Montréal voulait 17 autorisations en trois exemplaires avant de donner le feu vert aux démolisseurs.

Je n’étais peut-être pas si loin de la vérité, car ce n’est qu’en mai 2008, soit 9 mois après la fermeture, que le conseil de l’arrondissement Ville-Marie a formellement approuvé la démolition de la salle de spectacles et des immeubles avoisinants. Mais quand est revenue la saison des festivals, le Spectrum, tel un fantôme visible en plein jour, était toujours debout. On a réalisé a posteriori qu’on aurait pu présenter des concerts plusieurs mois encore. Écrivons-le une fois pour toutes, le Spectrum a fermé un an trop tôt.

Il a finalement été démoli à l’automne 2008. Nous ne sommes pourtant pas à la fin de l’histoire. On a appris au début de l’année suivante que la construction était reportée. Raison? La crise économique qui a frappé trop fort et qui a fait mal à nombre de promoteurs. On a donc inauguré la Maison du Festival de jazz à l’été 2009, lors de la 30e présentation du Festival international de jazz de Montréal (FIJM), en face d’un terrain vague. La belle affaire…

Puis, les années ont passé : 2010, 2011, 2012… Toujours ce bout de terrain désert qui ressemblait à une verrue au milieu du visage. Enfin, pas toujours désert. À partir de 2010, Spectra – qui n’avait plus aucun droit sur le terrain – a comblé le vide ambiant en installant des scènes éphémères durant ses festivals. Bonne idée, mais ironie suprême : on jouait de la musique où se dressait le Spectrum.

Promesse de construire

À l’été 2011, le Fonds immobilier de solidarité FTQ a fait l’acquisition du terrain en friche. En 2012, on apprenait que le Fonds et Canderel, nouveau promoteur, proposait un projet immobilier plus ambitieux que celui initialement prévu. Le PDG du Fonds avait déclaré : « D’ici cinq ans, normalement, ça devrait être construit et loué à 100 %. »

En rétrospective, cette déclaration ressemble à un plan quinquennal du Canadien de Montréal pour ramener la coupe Stanley qui ne se matérialise pas. « Construit et loué à 100 %? » Nous sommes à la fin d’avril 2017 et on n’a pas encore fait l’excavation en vue de la construction des tours. Dream On, comme chante Aerosmith.

Ce énième délai s’explique peut-être par le fait que le site a été, un temps, au nombre des lieux pressentis pour la nouvelle Maison de Radio-Canada, ce qui ne sera pas le cas. Ou peut-être parce que l’on cherche encore des locataires pour occuper les tours.

Pensez-y… Depuis une décennie, on a éventré toutes les rues du quadrilatère du Quartier des spectacles deux fois plutôt qu’une pour aménager la place des Festivals et ses alentours. On a ouvert la Maison du Festival de jazz. On a repavé la rue Sainte-Catherine de la rue De Bleury jusqu’à la rue Saint-Dominique. On a refait les couloirs intérieurs des accès à la Place des Arts et sa marquise, et on a changé la localisation de l’entrée de la 5e Salle. Et, actuellement, on complète dans l’édifice Wilder la construction de la Maison de la danse, qui abritera Les Grands Ballets Canadiens et Espace Danse.

Des projets rassembleurs dont les investissements se comptent en dizaine de millions de dollars, des lieux de diffusion de culture rénovés, des espaces communs qui servent à la communauté. Mais l’intersection au coin Sainte-Catherine et De Bleury, elle, est toujours déserte.

Entendons-nous, je n’attends pas avec impatience l’érection d’un nouveau monument de verre et de béton dans la métropole. Mais lorsqu’un immeuble se dressera finalement à cette intersection, il fera office de pierre tombale pour le Spectrum et le deuil sera terminé.

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