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Football mixte : changer les mentalités un plaqué à la fois

Football mixte : changer les mentalités un plaqué à la fois

Le football est un sport traditionnellement masculin, mais les portes s'ouvrent de plus en plus aux filles. La preuve : à Gatineau, une équipe dans une école secondaire cherche à innover en incluant des filles, et ce même si, dans sa ligue, elle affronte des équipes entièrement masculines. Un programme pour ceux et celles qui ont le goût d'apprendre à jouer et à plaquer.

Un texte de Justine Boutet

Au Canada, il existe quelques équipes de football contact composées uniquement de filles. Le Blitz de Montréal en est un exemple.

Mais les équipes mixtes sont rares.

L'École secondaire Hormisdas-Gamelin, dans le secteur de Gatineau, a une volonté de faire les choses autrement.

Sur le terrain des Tigres, les filles portent le casque comme les garçons.

« On a fait un virage », explique le président de l’équipe juvénile et entraîneur-chef, Michel Roy. « Le football a changé. Même si c'est un sport qui est physique, il est de plus en plus technique. »

Les filles que nous avons vues passer dans l'équipe, techniquement elles étaient supérieures. Elles sont un peu plus matures. Leur perception [du jeu] est différente.

« On a décidé comme organisation cette année de vraiment faire un blitz et d'aller chercher les meilleurs athlètes, garçons ou filles », ajoute l’entraîneur. « On ne fait pas de distinction. On veut avoir les meilleurs athlètes, point à la ligne. »

Cette année, deux filles sont inscrites dans l'équipe.

Véronique Jacques, 15 ans, n’est pas la joueuse la plus costaude sur le terrain. Elle entame sa troisième saison de football. Elle s'entraîne présentement sur la ligne tertiaire.

« J'ai toujours voulu jouer au football », lance-t-elle. « Quand j'étais petite, je regardais le Super Bowl à la télévision. Je suis allée voir la première partie de football à mon cousin et j'ai dit : “Moi, je veux jouer au football.” C'est sûr que ma famille était comme : “Whô, tu es une fille. As-tu vu ta silhouette?” »

Laurie-Ange Clément a quant à elle commencé à jouer au football il y a un an, à 14 ans.

Une de ses amies, qui jouait déjà au football, l'a convaincue d'assister à l'un de ses entraînements avec les Tigres. Elle l'a présentée aux entraîneurs.

« Je n'étais pas sûre, j'étais gênée avec les gars », se souvient-elle. « C'est quand même intimidant au début. Je suis allée voir les entraîneurs et ils ont été super gentils. Ils m'ont accueillie. »

[Les entraîneurs] m'ont dit que ce n'est pas parce que je suis une fille que je ne peux pas jouer. J’ai joint l'équipe.

« C'est sûr que les entraîneurs m'ont prise à cause de ma grandeur, même s'ils n'avaient pas vu mon talent. J'ai fait des entraînements et je suis entrée sur le jeu », ajoute Laurie-Ange.

Aujourd'hui à 15 ans, elle entame sa première saison chez les juvéniles et joue sur la ligne défensive.

« J'adore l'adrénaline lorsque je joue au football. J'ai une autre famille avec les gars », lance-t-elle.

Du contact, elles en veulent!

Laurie-Ange Clément et Véronique Jacques n'ont pas peur du plaquage, bien au contraire. Elles apprécient le jeu robuste.

« Je ne suis pas violente, mais plaquer le monde, c'est le fun », lance Véronique. « C'est un jeu. »

« Il y en a qui [frappent fort] dans l'équipe », ajoute pour sa part Laurie-Ange. « Mais comme mon entraîneur me dit qu’il faut que je bloque et que j'essaie le plus possible [de tenir mon bout]. »

Mon objectif cette saison est d'être plus rapide. J'aimerais être capable de bloquer les gros joueurs devant moi. Je m'entraîne en gymnase pour avoir plus de force.

Les premiers pas de Laurie-Ange au football ne se sont pas effectués sans résistance.

« Mon papa ne voulait pas [que je joue au football], se rappelle-t-elle. « Je suis sa petite fille, dans une équipe de football. C'est quelque chose! Ma mère, elle, était d'accord. Toutes mes amies m'ont dit : “Go, fonce Laurie!” Mais c'est sûr, il y en a qui ne voulaient pas dans ma famille. Ils ne voulaient pas que je me blesse. »

L’entraîneur Michel Roy affirme que les critères de sélection ont changé.

« [Avant] on cherchait de grosses brutes et on faisait de la formation. Mais avec les années, avec les commotions cérébrales et la venue de nouveaux protocoles [...] le sport évolue, pour le bien du sport », soutient-il.

Il faut avoir des plaqués sécuritaires. Il faut être bien formé. Alors je pense que ça nous donne une occasion d’attirer plus de filles.

« Le football sera toujours un sport de contact, un sport physique. Mais au lieu d’avoir juste la force brute, on enseigne aussi la bonne technique », ajoute l’entraîneur.

L'intégration avec les garçons

De leur côté, les garçons ont bien accueilli les filles dans leurs rangs.

« Le monde ne m'a pas fait de remarque », rapporte Véronique. « J'ai été étonnée. Les garçons ont fait comme s’il y avait des filles tous les jours. »

« C'est sûr qu'il faut que tu te fasses ta place », nuance Laurie-Ange, « parce que c'est difficile de te faire respecter. Mais moi, je me suis fait respecter d'un coup. Ça n'a pas été difficile. Tous les gars me parlent. J'ai plusieurs amis. J'ai même mon meilleur ami dans l'équipe de football. Ça va bien. »

Même son de cloche du côté d'Olivier Sicard, 14 ans, un demi défensif des Tigres.

« Au début, j'étais un peu surpris. Mais après un ou deux entraînements, ça ne dérange pas tant que ça, parce qu'il n'y a pas vraiment de différence », constate-t-il. « Au football, tu as un casque et des épaulettes. On se ressemble tous sur le terrain. »

Les défis à relever

Il n'en demeure pas moins que certains obstacles se dressent devant les jeunes filles intéressées par le football.

« Quand elles sont jeunes, à 12-13 ans, le côté physique est moins présent », explique le coordonnateur défensif des Tigres de l'École secondaire Hormisdas-Gamelin, Paul Roy. « Mais quand elles arrivent à 15-16 ans, c'est sûr que le physique fait une différence. Il faut donc donner aux filles des outils autres que le poids, la grandeur. »

« On va essayer de mettre l'accent sur la technique et la vitesse. On travaille aussi sur l'aspect psychologique, la confiance », ajoute-t-il. « C'est très intimidant quand elles arrivent ici et voient ces gros bonshommes-là en avant d'elles. Mais je pense que nous avons des filles qui ont du caractère. Elles sont capables et ne se laissent pas intimider. On va les appuyer là-dedans. »

L'équipe doit elle aussi s'adapter aux besoins des filles.

« Comme le dit l'expression : “On a apprend sur le tas” », lance Michel Roy. « Il y a certaines choses auxquelles nous n'avions pas pensé : les vestiaires séparés, les ajustements de casques, les ajustements d'équipement. Mais on a une bonne relation avec nos joueurs et joueuses et on apprend ensemble. »

On a décidé de faire ce virage tous ensemble. Ç’a toujours été la force de notre programme.

« On négocie jusqu'à un certain point, mais une fois qu'on embarque dans quelque chose, on embarque à fond. D'où l'importance de s'éduquer, de changer nos habitudes », souligne-t-il.

L'entraîneur-chef a aussi changé sa façon de s'adresser à ses joueurs.

À l'expression « les boys » qu'il lance à pleins poumons lorsqu'il veut rassembler l'équipe, il ajoute désormais : « et les girls » !

Gagner… avec des filles

Les Tigres ont une fière tradition et, comme toute équipe compétitive, un trophée dans leur mire.

Des sacrifices et des efforts seront déployés durant la saison vers cette ultime quête d'un championnat.

La plupart des équipes que les Tigres croiseront sur le terrain seront de sexe masculin seulement.

Mais les Tigres vont respecter une règle bien précise.

« Que ce soit un gars ou une fille, on essaie de faire jouer tout le monde », soutient Paul Roy

« Elles vont avoir leur chance, soyez assurée de ça », renchérit Michel Roy.

Laurie-Ange Clément et Véronique Jacques affirment avoir eu du temps de jeu dans des matchs depuis leurs débuts avec les Tigres.

Deviennent-elles alors la cible de l’adversaire?

« Un entraîneur va dire : “Oh, il y a une fille là, on va lancer le ballon de ce côté-là”. Oui, absolument », lance Michel Roy. « Mais je pense qu'on peut causer certaines surprises [aux entraîneurs des équipes adverses]. On a notre plan de match là-dessus. »

Un plan qui vise aussi à changer les mentalités... un plaqué à la fois.

« Le football, comme beaucoup de sports, c'est un “old boys' club” », affirme Michel Roy. « Par contre, on commence à voir des entraîneurs dans la NFL qui sont des femmes. On a des arbitres maintenant qui sont des femmes. »

Des joueuses chez les pros?

Est-ce que nous verrons un jour des femmes jouer au football mixte avec contact chez les professionnels? Nous avons posé la question à nos intervenants.

« Avec la formule actuelle, je vois difficilement comment ça peut se passer », raconte Paul Royé. « Il y a tout le temps des perles rares, que ce soit des gars ou des filles. C'est ça qu'on cherche. Mais au niveau des professionnels, je ne pense pas. »

« J'ai confiance dans le fait que comme société, puis comme sport, on peut bien faire les choses. Il faut juste commencer quelque part », explique l'entraîneur Michel Roy.

De son côté, Véronique pousse plus loin sa réflexion. « Je veux aller dans la NFL. Depuis que je suis jeune que je pense à ça. J'aimerais jouer au cégep, à l'université, dans la LCF, la NFL. »

Est-ce qu'elle croit que c'est possible de réaliser ce rêve?

« Je me suis informée pour les cégeps et ils m'ont dit : “Non, on accepte juste les gars”. Mais moi je me dis que les temps vont bien changer », ajoute-t-elle. « Je suis juste en troisième [année secondaire]. Peut-être que les choses auront alors changé et que les cégeps vont finale ment accepter des filles. »

Véronique n’a pas dit son dernier mot. Elle ira de nouveau cogner à la porte des cégeps, afin de poursuivre son chemin dans le football mixte. « Je ne me gênerai pas! », lance-t-elle.

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