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Le nouvel album «Bleu Jane»: le trip audacieux de Julien Sagot

«Bleu Jane»: le trip audacieux de Julien Sagot
Le Petit Russe

«J’ai été assez fou avec ce disque-là» sont quelques-uns des milliers de mots lucides et passionnés qui furent exprimés par l’auteur-compositeur-interprète Julien Sagot, lors d’un long, mais assumé entretien dans un café montréalais. Le sujet : son inclassable et audacieux Bleu Jane, un album phare dans un univers musical jonché de nombreux artistes plutôt «frileux».

Le ciel est bas et gris dans le monde de la musique ces temps-ci. C’est ce qu’on entend souvent. Selon l’ancien percussionniste du groupe rock Karkwa, trop d’artistes québécois, pusillanimes, proposent de la musique convenue, qui sature l’espace public.

Certes, il existe des exceptions à cette relative frilosité des artisans musicaux. Certains, comme Sagot, s’affairent à cultiver le goût du beau; certains, comme Sagot, aiment encore croire à la démarche artistique originale, personnelle.

Évidemment, l’art est une chose difficile à saisir. Mais quand on entend Bleu Jane, on aime croire que c’est ce qui a motivé Julien Sagot, en premier lieu. Pas envie de jouer au racoleur et encore moins de s’empêtrer dans un processus créatif qui a pour but l’instantané ou le consensus populaire.

Voilà comment, d’une manière imparfaite, on pourrait résumer l’état d’esprit du musicien-chanteur qui s’est lancé entier dans ce cinglé, mais beau projet intitulé Bleu Jane.

Histoires langoureuses

Dès l’entrée en matière, le morceau «Racines au ciel» (composé lors d’un premier séjour marquant en Louisiane) percussionne l’audace de Sagot. Après une minute, la cadence diminue pour laisser place à une ambiance de musique de chambre sensuelle, qui évoque un amour noir et un décor situé entre l’Amérique et l’Asie : voix grave et mystérieuse pour une balade céleste à la Arthur H franchement réussie.

On se croirait en pleine cavalcade dans le mystique, le vaste, le contemplatif, l’insaisissable. La bande de musiciens (dont Fabienne Lucet, Mishka Stein, Robbie Kuster et François Lafontaine), qui ont accompagné Sagot en studio, a fait ici un travail remarquable.

«J’aime le côté langoureux et plaintif de la musique orientale, raconte Sagot. J’en mets sur mes toasts le matin! J’adore le son de l’erhu (violon chinois joué par Marie-Christine Roy). Je suis conscient que ce n’est pas toujours évident sur un album de musique. De toute façon, ce n’est pas un disque que tu peux mettre comme ambiance de fond de salle. Les sonorités sont parfois agressives, dérangeantes. C’est même surtexturé.»

Cela dit, Bleu Jane est somme toute chaleureux et accrocheur («Désordre et désordre» est un petit bijou de bonne humeur) quand on s’y abandonne. Il est également rempli de délicats passages. Comme ces violons de valse à trois temps (en intro) sur la chanson «Les sentiers de terre», qui propose aussi des textes semi-récités, une boucle de piano, des voix féminines aériennes (livrées notamment par la chanteuse Frannie Holder des Dear Criminals et Random Recipe, puis Erika Angell de Thus Owls) ainsi que de petites rages de rock (mentionnons la chanson-titre de l’album), genre Histoire de Melody Nelson. C’est beau. Et en plus, c’est différent de «ce folk trop souvent offert» par les musiciens de chez nous.

«J’aime que les morceaux ne soient pas remplis de mots. J’aime quand je peux installer un mood, une histoire. J’adore lancer quelques lignes et laisser planer [l’auditeur] avec la musique.»

Détrompez-vous, Bleu Jane n’est pas parfait. Cette galette lyrique remplie d’étonnantes ambiances et d’arrangements singuliers est impénétrable par endroits. Les touffus arrangements auraient peut-être nécessité un brin d’épuration. La voix (accent qui trahit ses origines françaises) chaude et mélodique de Sagot, manque parfois de justesse. Les textes, parfois incompréhensibles, auraient çà et là besoin d’une clairvoyance aiguisée ou encore de la guidance de son auteur. Pourquoi le crocodile se nourrit-il de guimauve? Qui est ce gardien qui veille dans «Ombres portées»? Que vient faire le vaisseau de feu dans le très beau morceau sifflotant «Désordre et désordre»?

Et puis si on s’en foutait du sens des paroles, tout simplement? Comme dans bien des œuvres artistiques, le voyage importe plus que la destination.

La muse et ses bleus

En entrevue, Julien Sagot a dit savourer chaque moment de sa vie : sa vie de père, sa vie d’amoureux, sa vie de voyageur, sa vie de Québécois d’adoption, sa vie de créateur modeste (on parle d’argent), sa vie d’ami.

Pendant la création de son nouveau disque, Sagot a vu sa vie en bleu, sa couleur préférée. Un bleu tantôt métallique, Klein, royal, Majorelle, outremer ou indigo, qui courrait sur les tableaux de cette artiste-peintre, qui est aussi sa douce moitié, son âme sœur. Cette Jane, qui porte pour l’occasion un pseudonyme pas si différent de son vrai prénom. Une couleur inspirante qui habille les femmes et les lieux des neuf nouvelles compositions.

Quelque peu blasé des tournées (il a quand même participé à une soixantaine de concerts de Karim Ouellet à titre de musicien), Julien Sagot n’exclut pas offrir certains spectacles au cours d’évènements particuliers.

«On est dans une période d’économie. Il ne faut pas que ça coûte cher. Les propriétaires de salles et les programmateurs de festival prennent peu de risques. Au final, la création [sur scène] en souffre énormément. Je refuse de présenter mes chansons sans moyen. Je n’ai plus envie de faire des sacrifices. Je n’ai plus envie d’accommoder des gens sans vision qui ne font pas d’effort de promotion. Je croise trop de monde qui nivèle vers le bas. J’ai n’ai plus envie de toucher quelques piasses pour défendre mes chansons dans le fond du Québec. Basta! De toute façon, je ne gagnerai pas ma vie avec les shows de mon album…»

Le troisième album solo de Julien Sagot, coréalisé avec Antoine Binette Mercier, est franchement grisant. C’est un beau trip qui nous sort de l’ordinaire. À écouter. Vite.

Julien Sagot proposera un concert-lancement – jeudi, le 6 avril, dès 17h - O Patro Vys de Montréal

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