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«Mon médecin refuse de m'aider à mourir» (VIDÉO)

«Mon médecin refuse de m'aider à mourir»

Six mois après l'adoption de la Loi fédérale sur l'aide médicale à mourir, bien des patients ont encore de la difficulté à y avoir accès. Des hôpitaux et des médecins refusent de prodiguer l'aide à mourir pour des raisons éthiques ou religieuses. Et certains refusent même de recommander leurs patients à un autre médecin disposé à les aider.

Un texte de Christian Noël

Sharon Krar est une femme forte, même si son corps s’affaiblit de jour en jour. Atteinte de sclérose en plaques, elle est en fauteuil roulant depuis six ans. Aujourd'hui dans la cinquantaine, elle a appris qu'elle était atteinte d'une maladie dégénérative il y a 30 ans. Avec le temps, elle a perdu l’usage de tous ses membres, sauf de son bras gauche.

« Je ne peux plus supporter cette douleur constante. J’en ai assez d’être à la merci de mes proches pour boire un verre d’eau, faire ma toilette. C’est humiliant au quotidien et il faut vraiment marcher sur son orgueil », dit-elle.

Lors de notre visite chez elle, à Fort Érié, près de Niagara Falls, son visage se crispe de douleur à quelques reprises. Les larmes lui montent aux yeux. « Encore une crampe, un spasme. Ça fait vraiment mal », gémit-elle.

Elle prend une minute pour reprendre son souffle. « Quand une personne normale a une crampe, elle peut s’étirer pour la faire passer. Pas moi. C’est constant. La nuit, ça m’empêche de dormir. Ma qualité de vie? Quelle qualité de vie? Je survis, c’est tout. Ça ne peut plus durer comme ça », ajoute-t-elle.

Abandonnée par son médecin

Quand la Loi sur l’aide médicale à mourir a été adoptée en juin, Sharon croyait voir une lueur d’espoir. Après en avoir discuté avec ses proches, elle a décidé que mettre fin à ses jours était la chose à faire. Elle a donc décidé de présenter une requête officielle à son médecin, mais elle ne s’attendait pas à ce que son chemin soit semé d’embûches.

«J’ai demandé à mon médecin, à plusieurs reprises : "S'il vous plaît, aidez-moi à mettre fin à mes jours." Mais il refuse.» ― Sharon Skrar

« Non seulement il ne veut pas m’aider à mourir, ce qui est son droit, mais il refuse également de me recommander à un médecin qui serait prêt à le faire », dit-elle. C'est contre les règles ontariennes établies par le Collège des médecins.

Le devoir de ne pas abandonner un patient

Les hôpitaux, les centres de soins de longue durée et les médecins ontariens ont le droit de s’opposer à prodiguer l’aide médicale à mourir pour des raisons religieuses ou de conscience. Mais ils ont « le devoir de ne pas abandonner leur patient et de les envoyer rapidement à un professionnel de la santé disposé à offrir le service », explique le Collège des médecins de l’Ontario dans un courriel.

En Ontario, le gouvernement a une liste de 150 médecins et infirmières praticiennes qui se sont portés volontaires. Mais cette liste n’est pas ouverte au public. Seuls les professionnels de la santé y ont accès. Et certaines régions de l’Ontario en comptent peu et n’ont personne pour prodiguer l’aide à mourir.

Le Regroupement pour la liberté de conscience tient des manifestations aux quatre coins du pays afin de soutenir les médecins et les établissements qui refusent d’aider les patients à mourir. Mercredi, une trentaine de personnes ont manifesté à Toronto devant l’Assemblée législative de l’Ontario, scandant : « Liberté! Liberté! »

Le député conservateur fédéral Stephen Woodworth, connu pour ses positions pro-vie, est également contre l'aide médicale à mourir. « Le seul acte d'envoyer un patient à un autre médecin oblige l’objecteur de conscience à faire indirectement ce qu’il refuse de faire directement. C’est comme s’il tenait l’aiguille lui-même », dit-il.

«Si quelqu’un vous demandait d’assassiner sa femme, diriez-vous : "Ma conscience m’empêche de commettre cet acte, mais voici le nom de quelqu’un qui serait prêt à le faire."? Le droit du médecin compte autant que celui du patient.» ― Stephen Woodworth, député conservateur de Kitchener-Centre

Une position que Sharon comprend, mais qu’elle ne partage pas. « Qu’en est-il, de mon droit, à moi, d’avoir accès à des soins disponibles, dont j’ai besoin? Je ne veux pas forcer le médecin à commettre un acte auquel il ne croit pas, mais mon médecin ne devrait pas avoir le droit de vie et de mort sur moi non plus. C’est ma décision. »

Une loi et une zone grise

C’est cette zone grise qui complique en partie le dossier de l’aide médicale à mourir.

« Des patients doivent changer d’hôpital ou quitter leur maison de soins de longue durée où ils vivent depuis plusieurs années afin de recevoir l’aide à mourir », explique James Downar, professeur en soins palliatifs à l’Université de Toronto.

Il affirme avoir eu un patient qui a été forcé à prendre son congé de l’hôpital pour être réadmis quelques heures plus tard afin qu’il puisse consulter son médecin traitant au privé plutôt qu’à l’hôpital. « Tout ça, parce que l’administration voulait se dégager de toute responsabilité », ajoute-t-il.

Selon lui, les patients perdent confiance dans le système de santé quand ils entendent ce genre d'histoire.

Le ministre ontarien de la Santé, Eric Hoskins, assure qu’il a entendu les récriminations de patients et promet d’améliorer l’accès à l’aide à mourir pour les patients.

La province vient de déposer un projet de loi qui pourrait notamment faciliter les contacts avec les médecins prêts à prodiguer ces soins. L’Ontario souhaite également aplanir certaines barrières liées aux assurances et aux versements de prestations liées aux accidents de travail.

« Nous sommes en discussion avec le cardinal de Toronto, Thomas Collins, et les groupes de pression des médecins, afin d’établir le juste équilibre entre les droits des patients et celui des médecins », affirme-t-il.

Le Collège indique, pour sa part, que les patients qui se sentent lésés peuvent déposer une plainte contre le médecin, qui s’expose alors à des mesures disciplinaires. Mais le Collège refuse de révéler combien de plaintes ont été reçues jusqu’à maintenant, et se contente de dire qu’aucun comité de discipline n’a eu lieu.

Le problème, selon le professeur James Downar, c’est que personne ne surveille la situation de près pour savoir si l’aide médicale à mourir fonctionne vraiment.

«Combien de demandes d’aide médicale à mourir sont refusées, et pour quelle raison? Personne ne conserve cette information.» ― James Downar, professeur à l’Université de Toronto

Course contre la montre

Les provinces et le gouvernement fédéral ont convenu de s’entendre pour mettre sur pied une sorte de registre national afin d’évaluer les progrès et les défis que comporte l’aide médicale à mourir.

Mais Ottawa et les provinces ne s’entendent pas encore sur le modèle à suivre ni sur qui devra payer la facture. Un tel système pourrait prendre encore un an et demi à deux ans avant d’être mis sur pied.

Mais c’est justement ce que des patients comme Sharon n’ont pas, le temps. Bientôt elle perdra l'usage de sa main gauche et ensuite celui de sa voix, dit-elle. Elle souhaite faire son plaidoyer pour obtenir l’aide à mourir maintenant. Elle ne sait pas si, dans quelques semaines, elle en sera encore capable.

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