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Projet de loi 62 sur la neutralité religieuse: «Une forme de discrimination», dit l'Association canadienne des libertés civiles

Neutralité religieuse: «Une forme de discrimination», dit une association

QUÉBEC – Le projet de loi sur la neutralité religieuse présenté par le gouvernement Couillard constitue de la discrimination envers les musulmans et contribuera à «attiser la peur» de l’autre, estime l’Association canadienne des libertés civiles.

«C’est certainement un enjeu d’un grand intérêt pour nous et qui nous inquiète; qu’une forme de discrimination contre les musulmans, et une façon, peut-être, d’attiser la peur contre les musulmans soient propagées, ironiquement au nom de la neutralité religieuse», affirme Noa Mendelsohn Aviv, directrice du Programme égalité de l’organisme.

«Ce serait certainement de la discrimination contre les femmes musulmanes si elles ne sont pas capables d’accéder à des services, sans une raison valide», ajoute-t-elle, en anglais.

Présenté par la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, le projet de loi 62 vise notamment à obliger fonctionnaires et citoyens à dévoiler leurs visages lors de leurs interactions. Noa Mendelsohn Aviv souligne que, de facto, la mesure s’applique principalement aux femmes musulmanes.

Pour son association, le projet de loi brimera le droit à la liberté de religion prévu par la Charte canadienne des droits et libertés du Canada.

Noa Mendelsohn Aviv souligne que le droit de la femme musulmane sera brimé, sans qu’on puisse justifier la mesure par la protection d’un autre droit. «Quel est le droit qui est en opposition ici qui pourrait être affecté si ce petit nombre de personnes dans la province couvrait leur visage?, demande-t-elle. Qui est affecté? À qui cela cause-t-il du tort?»

Un policier pourra-t-il exiger le retrait d’une burqa?

Pour Noa Mendelsohn Aviv, le projet de loi 62 permettra à un policier d’exiger qu’une femme retire le voile de sa burqa lors d’un contrôle routier ou d’une interpellation sur la rue. Idem pour une éducatrice en CPE lorsque le parent vient cueillir son enfant en fin de journée.

Le cabinet de la ministre Vallée a refusé de valider que la nouvelle loi s’appliquerait dans ces scénarios. «Pour le moment, on ne veut pas rentrer dans des cas particuliers parce que les consultations débutent à partir de la semaine du 18 octobre», affirme l’attachée de presse de la ministre, Isabelle Marier St-Onge.

«Madame Vallée est très ouverte à écouter et à réviser en fonction des consultations qui vont avoir lieu», ajoute-t-elle.

Les syndicats d’agents de la paix ont refusé de commenter le projet de loi, souhaitant étudier le dossier auparavant.

La protection de l’égalité hommes-femmes ne peut pas non plus être invoquée pour justifier une telle mesure. «Alors, si une femme choisit de couvrir son visage, pour des raisons religieuses, elle viole le droit à l’égalité des femmes?», demande Noa Mendelsohn Aviv avec ironie.

Plus active au Canada anglais, l’Association canadienne des libertés civiles n’exclut pas de participer à une contestation du projet de loi 62 devant les tribunaux, comme elle l’a déjà fait par le passé.

Projet de loi timide

Pour sa part, le constitutionnaliste Louis-Philippe Lampron ne partage pas du tout l’opinion de l’association. Il croit peu probable que le projet de loi soit contesté avec succès devant les tribunaux.

En 2012, une femme de l’Ontario identifiée seulement par les initiales N.S — qui accusait son oncle et son cousin de l’avoir violée — réclamait le droit de témoigner à visage couvert. L’affaire s’est rendue jusqu’en Cour suprême du Canada, où une décision partagée à quatre juges contre trois a déterminé qu’un tribunal peut obliger une plaignante à se dévoiler lors de son témoignage, sous certaines conditions, afin de respecter le droit de l’accusé à un procès juste et équitable.

C’est essentiellement la position reprise par le gouvernement Couillard dans son projet de loi 62, estime Louis-Philippe Lampron. «Ils intègrent dans la loi ce que la jurisprudence en matière de neutralité religieuse de l’État dit déjà. Alors, là-dessus, ils sont un peu blindés, parce qu’ils n’ajoutent rien à l’état actuel du droit au Québec», souligne ce professeur titulaire de la Faculté de droit de l’Université Laval qui a beaucoup écrit sur le projet de Charte des valeurs du gouvernement Marois.

Noa Mendelsohn Aviv souligne toutefois que la cause plaçait deux droits en opposition, ce qui n’est pas le cas avec le projet de loi 62, estime-t-elle.

Accommodements raisonnables

Fait à noter, la législation proposée par Québec prévoit déjà de possibles accommodements pour obtenir un service à visage couvert. En effet, un accommodement pourra être refusé seulement si des motifs de sécurité, d’identification ou de communication le justifient. «C’est juste qu’on inverse un peu la rhétorique, dit Louis-Philippe Lampron. De prime abord, c’est donné et reçu à visage découvert, sauf si un accommodement peut être obtenu.»

Il émet toutefois une réserve. «La seule balise qui me semble critiquable, c’est la question de la communication, dit-il, jugeant le critère trop flou. Ça pourrait peut-être être critiqué comme une atteinte injustifiée à la liberté de conscience et de religion. Mais ça, uniquement pour les bénéficiaires de services publics.»

En ce qui concerne les fonctionnaires, l’interdiction de porter la burqa ou le niqab devait passer le test des tribunaux «sans problèmes», estime-t-il.

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée (Crédit: Alice Chiche)

Et le tchador?

À Québec, le projet de loi 62 est déjà critiqué par le PQ et la CAQ qui souhaitent que le gouvernement aille plus loin et interdise également le port de signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité. L’opposition réclame également l’interdiction du tchador, ce voile qui laisse voir l’ovale du visage, pour les fonctionnaires.

D’ailleurs, le premier ministre Philippe Couillard, alors dans l’opposition, s’était dit en faveur de l’interdiction du tchador en janvier 2014. Son gouvernement a depuis reculé pour s’en tenir à «ce qui fait consensus».

Pour sa part, la ministre de la Justice a souligné que le projet de loi cible uniquement la neutralité religieuse de l’État. «Le projet de loi 62, il est très clair, il est clair quant à la neutralité religieuse de l’État, a expliqué Stéphanie Vallée fin septembre. Il est clair également quant à la façon dont les services doivent être offerts et doivent être reçus au Québec, c’est-à-dire à visage découvert, soulignait-elle récemment. Pour le reste, ce n’est pas un projet de loi qui encadre l’habillement.»

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