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Construction: le transfert de travaux aux municipalités sème l'inquiétude

Construction: le transfert de travaux aux municipalités inquiète
Flickr: handustry

MONTRÉAL — Une lutte est engagée entre l'industrie de la construction et le milieu municipal, à cause d'un article d'un projet de loi qui prévoit le transfert de centaines de millions de dollars de travaux de construction aux villes. Et cette clause est inspirée d'une recommandation de la Commission Charbonneau.

Selon un rapport de la Commission de la construction, c'est un potentiel de 7500 travailleurs de la construction qui pourraient ainsi être touchés si ce transfert de travaux de construction aux villes se réalisait.

La clause en question permettra aux municipalités de faire réaliser par leurs employés permanents des travaux de rénovation et de modification de leurs bâtiments — des travaux qui sont actuellement effectués par des entreprises de construction.

Il pourra s'agir de «déconstruction-reconstruction», comme changer les cloisons à l'intérieur d'un bâtiment, changer la fenestration, faire de grands travaux de peinture ou de tirage de joints, par exemple, a confirmé au cours d'une entrevue Bernard Sévigny, le nouveau président de l'Union des municipalités du Québec et maire de Sherbrooke.

«Il y a longtemps qu'on le demande; ça fait plusieurs années», a justifié M. Sévigny. Pour les municipalités, dit-il, c'est d'abord une question d'autonomie, d'être plus indépendantes face aux entreprises de construction.

M. Sévigny cite d'autres avantages pour les villes: développer une expertise interne et encourir moins de délais dus aux processus d'appel d'offres. La Ville de Sherbrooke à elle seule gère 259 bâtiments municipaux, souligne-t-il.

La Commission de la construction a évalué que ce transfert de travaux de construction aux villes aurait représenté 6,9 millions d'heures en 2015, soit 5 pour cent des heures totales de l'industrie de la construction.

Et le manque à gagner en termes de salaire est estimé à 269 millions $ pour 7500 salariés touchés.

Des économies?

M. Sévigny cite des données voulant que ce transfert d'activités puisse ultimement entraîner une économie de 6,6 millions $, mais pour l'ensemble des villes du Québec.

Les syndicats représentant les ouvriers, eux, doutent que ce transfert se traduise véritablement en des économies pour les villes. «Moi, je ne la vois pas l'économie», s'exclame le directeur général de la FTQ-Construction, Yves Ouellet.

Il prédit même des problèmes de relations de trop grande proximité dans certaines villes. «Si le but est de rendre plus limpides les heures et les travaux effectués par les villes, moi je peux vous dire que le cousin de la cousine, le "mononcle" ou la "matante" du maire va être un employé de la Ville de temps en temps; il va exécuter des travaux», lance le dirigeant syndical.

M. Ouellet note aussi que lorsque les travaux sont donnés sous contrat à une entreprise privée, les citoyens peuvent poser des questions aux élus municipaux et voir les dépassements de coûts, par exemple — une chose qu'il ne sera plus possible de faire, selon lui, lorsque ces heures et ces coûts seront fondus dans l'ensemble des tâches accomplies par des employés des villes. «Il n'y a pas de contrat, alors tu ne peux pas suivre», s'exclame-t-il.

Au Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International), le président Michel Trépanier dénonce le manque de consultation et de souci pour les répercussions de ce transfert sur les travailleurs de la construction.

«Je trouve ça irresponsable de précipiter (le transfert) lorsque la vie de milliers de familles peut être "impactée". J'aimerais ça qu'on ait une évaluation un petit peu plus complète, qu'il y ait une réflexion et qu'il y ait des options pour ceux qui vont sûrement perdre leur emploi», commente M. Trépanier.

Les entrepreneurs, de leur côté, déplorent cette tuile qui leur tombe sur la tête, alors qu'ils sont déjà confrontés à une baisse du nombre d'heures dans l'industrie depuis quelques années.

«C'est inquiétant et ça mériterait une étude certainement plus approfondie. On sait d'avance que ce sont les plus petites entreprises qui vont être pénalisées, et en plein ralentissement de l'activité dans l'industrie de la construction, en plus», déplore Luc Bourgoin, directeur général de l'Association de la construction.

«C'est clair qu'il y a des entreprises dont les activités vont être compromises. Il pourrait y avoir des pertes d'emplois qui vont découler de ça», déplore M. Bourgoin.

À l'UMQ, M. Sévigny rappelle que de telles dispositions existent déjà pour les établissements de santé et les commissions scolaires.

Le rapport de la Commission Charbonneau recommandait en fait d'«étendre à tous les donneurs d'ouvrage publics les exclusions pertinentes à l'article 19 de la Loi R-20 (qui encadre l'industrie de la construction) afin de soutenir le développement d'une plus grande expertise interne en construction».

La Commission Charbonneau mentionnait que «l'expertise interne est un rempart efficace contre la collusion».

L'article en question fait partie d'un projet de loi d'ordre plus général, qui porte notamment sur le financement politique et diverses dispositions en matière municipale.

Lorsqu'il l'a défendu en commission parlementaire, le ministre des Affaires municipales, Martin Coiteux, a pourtant affirmé: «Honnêtement, c'est pas loin de faire consensus.»

Il a aussi soutenu que «ça ne bouleverse pas l'industrie de la construction» et que les municipalités jouiront ainsi d'une «liberté qu'elles n'ont pas à l'heure actuelle» et dont bénéficient des établissements du milieu scolaire et de la santé.

«Ce ne sont pas des changements fondamentaux aux lois du travail du Québec. C'est une "flexibilisation" à l'égard des municipalités qui auraient l'expertise pour le faire. Et c'est le résultat d'une réflexion notamment de la Commission Charbonneau», a conclu le ministre Coiteux.

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