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Tim Berners-Lee, le père du web, se méfie des géants d'Internet (VIDÉO)

Tim Berners-Lee, le père du web, se méfie des géants d'Internet (VIDÉO)

Le nom de Tim Berners-Lee vous est peut-être inconnu; il risque néanmoins d'entrer dans les livres d'histoires. En tant que principal fondateur du World Wide Web (WWW), cet informaticien britannique a changé profondément notre rapport à la technologie et au monde. Mais à 60 ans, il s'inquiète aujourd'hui pour l'avenir de la Toile, dont la philosophie initiale serait menacée par l'influence grandissante des géants technologiques.

Une entrevue de Matthieu Dugal

En 1999, vous avez exprimé une crainte, une crainte vraiment prophétique, qu'à l'avenir il y ait un danger réel que les gens aillent tous librement sur un seul grand portail et que tous les revenus publicitaires soient versés à la même source. Cela se développerait rapidement en une immense place où tous nos besoins seraient satisfaits et, je vous cite, « dans un grand Vatican commercial ». Pensez-vous que Facebook est devenu ce portail?

Il y a quelques grandes entreprises dans le cyberespace, et dans divers pays, qui se font concurrence; mais je crois que beaucoup de gens sentent que la domination des grands monopoles commence vraiment à porter atteinte à l'innovation. Ils sentent que, en tant qu'entrepreneurs, quand ils démarrent une entreprise, ils ne peuvent jamais être vraiment concurrentiels sur le web. Et je crois que les gens sont tristes de ne pas retrouver l'esprit initial du web, où chacun devrait avoir son propre site web, que ce site soit entièrement créé par eux, qu'il soit présent sur le web sans aucun intermédiaire.

Est-ce que vous considérez la commercialisation de tous ces services comme une déviation de la philosophie initiale du web?

Oui, la philosophie initiale du web était de décentraliser. C'était une force de décentralisation et il permettait aux groupes ad hoc indépendants de faire ce qu'ils n'auraient jamais pu faire avant. Je pense que c'est un aspect important de la philosophie du web et je crois que beaucoup de gens pensent actuellement qu'ils perdent cet aspect.

Est-ce que cela vous attriste?

Cela me préoccupe un peu, parce que nous essayons de concevoir de nouveaux systèmes en laboratoire, où les gens pourraient stocker leurs propres données et contrôler ce qu'ils ont déposé eux-mêmes.

Je voudrais, pour un instant, me faire l'avocat du diable, et vous dire que Mark Zuckerberg a accompli quelques-uns de vos rêves les plus chers, notamment cette convivialité que vous imaginiez pour l'avenir du web. Pensez-vous que quelque part c'est vrai? Cette convivialité est-elle bien ce que vous imaginiez pour l'avenir, à l'époque, dans les années 90?

Je crois que si vous avez une grosse entreprise, un monopole, il y a plusieurs façons de passer beaucoup de temps sur l'interface des utilisateurs. America Online a fait ça, quand ce fournisseur détenait le monopole, et tout le monde était admiratif de ce que America Online faisait. Quand America Online n'a plus progressé, il a tenté de faire semblant qu'Internet n'existait pas ou même qu'Internet émanait d'AOL, jusqu'au moment où ils ont réalisé qu'ils devaient admettre qu'en fait, AOL n'était qu'une petite partie d'une grande toile. C'est ce qui se passe quand vous aménagez un beau jardin intérieur, mais en fin de compte, tous les efforts que vous pouvez fournir pour en faire le plus beau jardin intérieur ne peuvent jamais le comparer à la jungle folle qui pousse en toute liberté à l'extérieur.

Pensez-vous qu'il reste assez de jungle pour faire contrepoids à ces grands monopoles?

Je crois qu'il y aura probablement un moment charnière à l'avenir, quand les voix commenceront à s'élever ensemble, plutôt qu'individuellement.

Connaissez-vous Le Cid de Corneille? À un certain moment, Rodrigue dit au roi une phrase très célèbre, et je cite : « Et le combat cessa faute de combattants ». Pensez-vous qu'à l'avenir, il restera assez de gens conscients de ces débuts du web pour être capables de contrebalancer philosophiquement ces façons de penser à tendances monopolistiques qui existent chez Facebook, Twitter et toutes ces grandes entreprises?

Oui, à cause de la façon dont ces gens sont connectés. Je veux dire que nous sommes ici dans une conférence sur le web, à Montréal, et c'est plein de gens. Il y a ici des centaines de gens qui sont vraiment enthousiastes des effets démocratisants du web. Je crois que beaucoup de gens, quand ils s'assoient naturellement, ils aiment agir dans le monde, ils aiment sentir qu'ils ont plus de pouvoir, ils aiment être connectés à qui ils veulent, et ce sentiment, je crois, est très motivant.

Mais d'après vous quelle est la plus grande menace au développement du web de la manière dont vous l'avez imaginé à l'époque?

Depuis toujours, depuis le début, et cela a toujours existé, la plus grande menace, c'est que quelque chose contrôle Internet, un gouvernement quelconque, une entreprise quelconque, qui parvienne à étendre son emprise sur Internet, qui puisse voir tout ce qui y passe, qui puisse vous espionner, puis commencer à ralentir le trafic à plusieurs endroits. Et maintenant, le web fait tellement partie de notre vie que quiconque contrôle le web finit par nous contrôler NOUS.

Dernière question : Que voudriez-vous que nous sachions au sujet de l'avenir du web? Que devons-nous savoir à ce sujet pour les années à venir?

Que vous devez prendre soin d'Internet. Vous pourriez passer 95 % à 99 % de votre vie à juste utiliser le web, mais le 1 % restant, je vous en prie, pensez à le protéger. Pensez à consulter les lois qui passent, si quelqu'un tente de faire passer une loi dans votre pays, ou si un autre pays tente de prendre le contrôle du web. Regardez les ententes avec les grandes entreprises; sont-elles en train de commencer à restreindre votre liberté? Et s'il le faut, utilisez ce 1 % de votre temps pour aller manifester, réunissez tout le monde, lancez un mouvement – vous devriez peut-être être un militant, tout le monde doit le devenir. Si vous l'utilisez, vous avez le devoir de le protéger aussi.

Entrevue traduite par Danielle Jazzar

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