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Hedi Slimane, Elbaz, Simons... Pourquoi les stylistes ne sont plus attachés à leur maison

Slimane, Elbaz, Simons... Pourquoi les stylistes ne sont plus attachés à leur maison
AFP

Le bruit courait dans les couloirs des maisons de couture et des rédactions de mode depuis quelque temps. Yves-Saint-Laurent a finalement confirmé les rumeurs en annonçant, dans un communiqué rendu public vendredi 1er avril, le départ de son directeur de la création et de l'image, Hedi Slimane, à la fin d'un contrat de quatre ans.

L'annonce a de quoi donner une impression de déjà-vu. Le 22 octobre 2015, Raf Simons annonçait son départ de la maison Dior, au bout de trois ans de collaboration. Au même moment, Alber Elbaz confirmait qu'il quittait Lanvin.

Ces départs ont-ils été motivés par de mauvais résultats? Pas du tout. Ces trois-là étaient "ceux qui fonctionnaient le mieux", selon Frédéric Godart, auteur de sociologie de la mode, interrogé par Le HuffPost. En octobre 2015, Kering annonçait d'ailleurs une croissance des ventes de 37% pour Saint-Laurent sous Slimane. Étaient-ils alors motivés par des désaccords impossibles à régler en interne? Pas vraiment. Après son départ, les salariés de Lanvin ont même réclamé le retour d'Elbaz, "le seul à comprendre les clés".

Des créateurs frustrés et sous pression

Alors à quoi doit-on ce mercato de la mode? "Cette mobilité n'est pas nouvelle, elle a toujours été là", indique Frédéric Godart. "Mais on observe une accélération identique à celle d'autres industries, liée aux évolutions du capitalisme", continue-t-il. Les collections de vêtements se multiplient, les prix baissent, les idées doivent fuser alors que "les consommateurs préfèrent toujours s'acheter un téléphone portable", selon le spécialiste.

Mais ce besoin de renouvellement, de plus en plus présent, est aussi plus compliqué à mettre en oeuvre au sein d'une grande maison, où les créateurs doivent imposer leur nom tout en restant fidèles à "l'ADN" de la marque, comme on dit dans le milieu. Faire quelque chose de nouveau qui ne soit pas trop différent des caractéristiques de la maison. Un "équilibre difficile à trouver", selon Frédéric Godart.

Et Hedi Slimane en sait quelque chose. Ce touche-à-tout, du genre à sortir des clous, était déterminé à renouveler l'image d'Yves-Saint-Laurent. Il affiche des stars du rock dans ses campagnes, habille Keith Richards pour la tournée des Stones, et ose même s'attaquer au nom de la marque. En 2001, alors qu'il est directeur des collections, il décide de changer le nom de Yves Saint Laurent à YSL puis Saint Laurent Paris. En interne, on parle aussi de problèmes d'organisation et de communication à cause de l'installation du créateur à Los Angeles. D'après les informations de Gala, il "aurait épuisé ses collaborateurs par ses exigences".

Mais les designers se disent aussi et surtout chamboulés par les changements que subit cette industrie. Raf Simons, qui a fait l'objet en 2015 d'un documentaire, "Dior et moi", n'a pas caché qu'il se sentait dépassé par la vitesse à laquelle le monde de la mode changeait. "Quand vous devez faire six défilés par an, vous n'avez pas le temps de tout mener à bien", avait-il confié à The Cut.

Frustrés par le manque de temps et l'importance que prennent les réseaux sociaux dans leur milieu (certains designers souhaitent mettre en vente leurs pièces directement après les défilés avec le principe du "See Now/Buy Now"), les créateurs de mode sont mis sous pression. "La créativité et la vision ont des limites et ne sont pas des ressources renouvelables", écrit la journaliste Véronique Hyland pour The Cut. "Si nous ne faisons pas attention, elles disparaîtront en même temps que les personnes qui les possèdent", prévient-elle.

Alber Elbaz partage cet avis. Au moment de tirer sa révérence, celui qui a passé 14 ans à la tête de la création de Lanvin a fait part de sa frustration face, notamment, à l'importance du coup d'éclat sur Instagram: "Nous avons commencé comme des 'couturiers', avec des rêves, une intuition, des sentiments. (...) Puis nous sommes devenus des 'directeurs artistiques', avec un devoir de création et de direction. Et maintenant nous devons devenir des 'faiseurs d'images', créer le buzz, s'assurer que tout est beau sur les images", regrettait-il en octobre.

Des retombées économiques

Mais le mercato de la mode n'est pas nécessairement une mauvaise chose pour l'industrie. Il est même plutôt le signe d'une bonne santé, selon Frédéric Godart, et assure certaines retombées économiques. En plus de provoquer une couverture médiatique pour la marque, il fait naître chez le consommateur l'idée d'une rareté du vêtement, d'un "aspect éphémère de l'acte de création". De même que le mercato du football n'est jamais considéré comme un aveu d'échec, celui de la mode est même plutôt excitant pour le consommateur.

"Nous mesurons très concrètement les conséquences de tous ces mouvements", explique au Monde Sébastien Fabre, président-directeur général du site Vestiaire Collective, une place de marché spécialisée dans la mode d’occasion. "On constate un impact sur la vélocité de vente et sur le prix. On vend plus vite et mieux. Cela influe sur la demande et donc sur l’offre: depuis l’annonce du départ de Raf Simons, le nombre de produits Dior proposés à la vente a augmenté de 9% par rapport aux mois précédents qui étaient d’une très grande stabilité", note-t-il.

Le marketing s'est donc imposé dans la profession. C'est précisément cela que maîtrise Karl Lagerfeld, directeur artistique de Chanel depuis 1983, de Fendi depuis 1965, et de sa propre marque. Il maîtrise "le changement autour de la stabilité", n'hésite pas à se remettre en question, a toujours été très mobile et a compris "comment fonctionnait l'industrie", selon Frédéric Godart. Ce qui fait de lui "l'exception ultime" dans le milieu.

Les mannequins du défilé Saint Laurent pointés du doigt

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