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Cinq questions pour comprendre Guantanamo

Cinq questions pour comprendre Guantanamo

Le président américain Barack Obama s'est fait élire en 2008 en promettant de fermer la prison américaine de Guantanamo. Il n'a maintenant plus que 10 mois pour tenir sa promesse. Y parviendra-t-il? Retour sur l'histoire de cet établissement carcéral, considéré le plus controversé de la planète.

1. Pourquoi la prison de Guantanamo a-t-elle été mise en place?

Le centre de détention de Guantanamo a été créé par le président George W. Bush dans le cadre de la guerre au terrorisme afin d'y incarcérer les talibans et militants présumés d'Al-Qaïda faits prisonniers en Afghanistan, en Irak ou ailleurs. Les premiers détenus sont arrivés au camp X-Ray le 11 janvier 2002.

Ils ont été déclarés « combattants ennemis » par l'administration Bush, ce qui permet de les soustraire aux conventions de Genève qui protègent les prisonniers de guerre.

De plus, puisque la prison de Guantanamo se trouve à l'extérieur du territoire américain (cette enclave de 117 km2 avait été cédée par Cuba aux États-Unis en 1903), Washington soutient que les droits garantis par la Constitution des États-Unis ne s'appliquent pas aux détenus. Le gouvernement américain leur a notamment refusé le droit de contester leur détention. Ils peuvent donc être incarcérés indéfiniment sans qu'on retienne aucun chef d'accusation contre eux.

Inside Guantanamo

Par ailleurs, le président Bush a créé en novembre 2001 des commissions militaires chargées de juger les détenus. Ces tribunaux, dont la légitimité des jugements est aussi contestée que l'existence même de Guantanamo, ont été peu utilisés, la plupart des détenus ayant finalement été jugés par des cours fédérales. À noter qu'aucun verdict n'a été encore rendu dans le cas des cinq suspects des attentats du 11 septembre 2001.

La Maison-Blanche estime que Guantanamo a coûté aux contribuables 445 millions de dollars américains en 2015. Comme ordre de grandeur, la sénatrice démocrate Dianne Feinstein affirmait l'an dernier que « le coût de détention d'un prisonnier à Guantanamo est 30 fois plus élevé que celui d'un détenu dans les prisons de haute sécurité à la pointe aux États-Unis ».

2. Comment fonctionnent les tribunaux militaires de Guantanamo?

  • La défense : Les commissions militaires peuvent seulement juger des étrangers en guerre contre les États-Unis qui sont soupçonnés d'avoir commis des crimes de guerre, même ceux commis avant septembre 2001. Un avocat militaire - ou plus d'un - représente chaque présumé terroriste, qui doit faire appel à un ou plusieurs avocats civils aussi. En cas de peine de mort, le Pentagone désigne un avocat militaire.
  • Le jury : Un juge militaire expérimenté dirige chaque commission militaire et au moins cinq officiers composent le jury - 12 lorsqu'il s'agit de peine de mort. Les autorités estiment que les officiers sont plus à même de juger de présumés terroristes, car ils sont plus éduqués que la moyenne de la population, en plus d'être plus au courant des réalités de la guerre.
  • Les preuves : Pendant les années de George W. Bush, les commissions militaires pouvaient recevoir les preuves obtenues sous la contrainte. Obama a interdit cela. Les « preuves indirectes », à savoir les témoins qui ne viennent pas à la barre, sont toujours acceptées, mais à présent limitées.
  • La condamnation : Les documents et preuves fournis au jury sont classés « secret défense ». Le jury parvient à un jugement seulement si les deux tiers de ses membres sont d'accord. Ils fixent ensuite la condamnation. L'unanimité est nécessaire aux deux stades pour les peines de mort.

3. Combien y a-t-il de détenus à Guantanamo?

Depuis l'ouverture de la prison, quelque 760 prisonniers originaires de 42 pays y ont été détenus. Au fil des ans, la plupart d'entre eux (85 %) ont été transférés vers d'autres prisons à l'étranger. Certains, comme Omar Khadr, ont même été libérés.

Lorsque Barack Obama est arrivé au pouvoir, en 2008, la prison de Guantanamo comptait toujours 242 détenus. Huit ans plus tard, il n'en reste plus que 91. Du lot, 35 sont actuellement éligibles à un transfert dans une prison à l'étranger, alors que 46 sont toujours considérés trop dangereux pour être relâchés. Le président a toutefois promis que le statut de ceux-ci serait étudié au « cas par cas » plus régulièrement.

Enfin, 10 détenus ont été condamnés ou accusés par des commissions militaires, dont 5 seraient liés aux attentats du 11 septembre 2011.

Parmi les 35 prisonniers ayant vu leur dossier de libération approuvé, on retrouve 29 détenus originaires du Yémen, que Washington ne veut pas renvoyer dans leur pays en raison de la situation chaotique qui y règne et du risque qu'ils reprennent les armes. L'administration tente depuis longtemps de trouver un pays tiers prêt à les accueillir.

4. Pourquoi est-ce si difficile de fermer Guantanamo?

Selon Barack Obama, l'existence de Guantanamo donne des arguments aux adversaires des États-Unis, qui peuvent dire que Washington ne respecte pas les droits de la personne. La plupart des élus démocrates partagent sa position et estiment que la prison de Guantanamo devrait être fermée. Or, ils sont minoritaires au Congrès, tant au Sénat qu'à la Chambre des représentants.

Les républicains, eux, sont en grande partie opposés à la fermeture de la prison, craignant surtout que les anciens détenus ne viennent gonfler les rangs des organisations terroristes comme Al-Qaïda.

Le sénateur républicain de l'Arizona John McCain fait figure d'exception, lui qui réclame depuis des années la fermeture de Guantanamo. En tant que membre du comité du Sénat sur les forces armées, il travaille avec l'administration Obama pour convaincre le Congrès de fermer Guantanamo et de transférer les prisonniers restants dans des prisons sur le territoire des États-Unis et à l'étranger.

Les Américains, eux, semblent être du même avis que les républicains. Selon un sondage Gallup mené en juin 2014, 66 % des personnes interrogées sont opposées à la fermeture de Guantanamo, alors que 29 % y sont favorables.

N'empêche : pour Amnistie internationale, Guantanamo est un « symbole d'abus et de mauvais traitements » ainsi qu'« un affront aux principes internationaux des droits de la personne ». Et pour l'ancienne haute-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme Navi Pillay, l'incapacité des États-Unis à fermer Guantanamo est « une violation flagrante du droit international ».

5. Barack Obama réussira-t-il son pari?

Trois scénarios se dessinent pour les prochains mois :

  1. Barack Obama pourrait convaincre le Congrès. Le Sénat et la Chambre des représentants pourraient décider de retirer l'interdiction votée en 2010 de transférer les détenus de Guantanamo en territoire américain. Cette possibilité semble toutefois hautement improbable, dans la mesure où les républicains, au pouvoir dans les deux chambres, sont majoritaires à s'opposer aux politiques de Barack Obama et que 2016 - une année électorale - risque d'attiser les passions. « En ce qui me concerne, ils peuvent tous crever en enfer ("every last one of them can rot in hell"), mais en attendant, il peuvent bien pourrir à Guantanamo », disait l'an dernier le sénateur républicain de l'Arkansas, Tom Cotton.
  2. Barack Obama pourrait évoquer la Constitution américaine pour agir seul. S'il réussit à transférer à l'étranger la totalité des prisonniers éligibles à un transfert dans une prison à l'étranger, le président n'aurait plus qu'à déplacer en sol américain une cinquantaine de détenus. Un certain nombre de pénitenciers au Kansas, en Caroline du Sud et au Colorado ont déjà été identifiés pour les accueillir.
  3. Le prochain président pourrait devoir trancher. En cas de victoire de Donald Trump, Ted Cruz ou Marco Rubio, la prison resterait probablement ouverte; elle pourrait même prendre de l'expansion. Mais si Hillary Clinton ou Bernie Sanders était élu, Guantanamo pourrait fermer définitivement ses portes.

Dans tous les cas, fermer la prison de Guantanamo ne réglera pas tous les problèmes. Le transfert des détenus dans des prisons américaines risque par exemple d'ouvrir la porte à des poursuites et contestations en tous genres.

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