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«Le nid de pierres» de Tristan Malavoy: mystère et réconfort (ENTREVUE)

«Le nid de pierres» de Tristan Malavoy: mystère et réconfort
Jorge Camarotti

L’allure de Tristan Malavoy est en soit un aperçu de son premier roman, Le nid de pierres. Sa voix posée, enveloppante, fait écho à l’impression d’apaisement qui nous habite en accompagnant Laure et Thomas, de vieux amis désormais jeunes amoureux, qui retournent vivre dans le village de leur enfance. Son regard bleuté, en constante recherche de réponses et de nuances, rappelle le désir quasi obsessionnel du jeune trentenaire issu de son imagination, accablé par la disparition d’un ancien camarade de classe et celle d’un vieux villageois, 20 ans plus tard. Ses boucles blondes, aussi épaisses qu’incontrôlables, évoquent les directions surprenantes que prend son histoire, peuplée de mystères, de légendes abénakises, de liens familiaux fragiles et d’un désir de plus en plus présent, chez les jeunes adultes d’aujourd’hui, de délaisser l’urbanité au profit de la terre.

Construit sur des allers-retours entre 1985, année où Thomas et ses amis ont été traumatisés par la disparition de Yannick-Lunatique, et 2005, année où le garçon devenu homme est revenu vivre dans son village, le récit accorde une place importante aux souvenirs d’enfance et aux liens brisés qu’on tente de réparer ou de remplacer. Seulement quatre mois après s’être retrouvés, Laure et Thomas s’achètent une maison et veulent avoir un enfant.

« Elle n’avait pas résisté à cette électricité qui passait entre nous deux quand les yeux de Laure, tellement mobiles par ailleurs, se plantaient dans les miens comme des colibris qui auraient enfin trouvé où se poser. » - Extrait de Le nid de pierres

« Les parents de Thomas sont morts dans un accident et ceux de Laure vivent en Floride, à la suite d’un échec financier du père qui les a poussés à fuir. Le frère de Thomas est lui aussi très loin, géographiquement et émotivement. Tout cela précipite leur envie de fonder une famille. Ils sont en équilibre précaire. Souvent, les gens qui vivent ainsi veulent créer un cocon familial très vite, parfois trop, pour pallier à quelque chose. »

Un manque, un vide intérieur, voire une panne d’inspiration pour Thomas, scénariste d’un téléroman à succès qui n’arrive plus à écrire dans sa nouvelle maison. « Il se voyait travailler dans son bureau à l’étage, avec une fenêtre qui donne sur le lac, complètement disponible à ses muses. Mais tous ses drames personnels l’assaillent. »

D’apparences lisses au départ – auteur auréolé d’un prix Gémeau, sympathique, avec une belle vie – Thomas se révèle complexe et porteur de plusieurs blessures. « Je voulais qu’on le voie se fendiller et se perdre complètement. Plus le temps passe, plus il est attiré par le mystère des choses, les grandes questions de la vie et l’énigme non résolue de ses 12 ans. »

Il entreprend alors une quête, de réponses et de lui-même, en parcourant son village estrien, où les légendes et les mystères abondent. « L’idée du roman m’est venue quand j’ai réalisé à quel point l’histoire autochtone était riche en Estrie, avec plusieurs légendes que je connaissais mal ou pas du tout. J’ai compris que la terre où j’ai joué petit et le lac où j’ai appris à nager était un territoire autochtone très vivant il n’y a pas si longtemps. »

Le retour à la terre du jeune couple et le drame non résolu ont donc été mariés à des éléments de l’imaginaire abénakis. « Ces parallèles installaient une tension entre le côté plus rationnel de notre époque, qu’on vit peut-être plus intensément en ville, et l’aspect onirique relié aux régions et aux légendes. »

« Aussi, sur le plan mécanique, cela me permettait d’offrir une solution à l’énigme de la disparition. Les lecteurs peuvent choisir de croire plus ou moins à la pénétration de l’imaginaire dans la réalité de l’histoire. C’était important pour moi de ne pas être seulement dans une résolution comme dans les polars. Je voulais déstabiliser les lecteurs. Pour moi, la littérature, c’est ouvrir des portes, pas simplement offrir les clés aux lecteurs. »

Tristan Malavoy ne donne pas toutes les réponses facilement, il oblige les lecteurs à se questionner, mais il leur offre également un cadeau non négligeable : l’amour profond qu’il porte pour Saint-Denis-de-Brompton, le village de son enfance, qui nous enveloppe à tous les détours.

« Malgré le climat d’étrangeté que j’ai voulu installer, je désirais montrer à quel point on peut s’attacher à un lieu. Chaque fois que je retourne là-bas et que je travaille à la cabane à sucre de mon père, avec mes bottes de caoutchouc, mes amis me trouvent plus relaxe. Je me tiens autrement. Je suis bien au contact de la nature. Ce village est pour moi synonyme de réconfort et de sécurité, même si j’y ai vécu toutes sortes de petits accidents. »

Si l’écrivain revisite des lieux de son passé, il en profite aussi pour livrer une réflexion sur notre façon de dialoguer avec nos morts et la place que nous leur offrons dans nos vies. « L’imaginaire abénakis me servait particulièrement bien à ce sujet, puisque les autochtones ont un rapport beaucoup plus ouvert et franc avec la notion de mort et de disparition. Leur dialogue est plus soutenu, concret et assumé, contrairement à nous qui allons dans un salon funéraire quelques heures pour serrer des mains, avant de passer à autre chose trois jours plus tard. On dialogue mal avec nos morts. »

À l’inverse, le Montréalais essaie de rester en contact avec « ses disparus ». « Je vais souvent porter des fleurs sur la tombe de mes grands-parents. Je vis quelque chose de très fort quand je le fais. Spécialement avec mes grands-parents maternels, dont j’étais très proche. J’ai voyagé partout dans le monde avec mon grand-père. On était des amis. Et il me manque tout le temps. Quand je prends le temps de m’arrêter, je me demande ce qu’il penserait de moi. C’est une façon de reconnecter avec lui et avec moi-même. »

Le journaliste écrivain

Reconnu comme critique littéraire, en plus d’avoir été rédacteur en chef du Voir de 2009 à 2014, Malavoy sait en quoi son expérience journalistique peut l’aider ou lui nuire en littérature. « Le journalisme a aiguisé ma plume et m’a appris à formuler des idées claires rapidement. Avec les échéanciers de notre métier, on n’a pas trop le temps de s’égarer. Ceci dit, je redoutais beaucoup l’idée d’écrire un roman de journaliste, une œuvre dont il se dégage un peu de froideur. Dans un roman, il n’y a pas qu’une histoire, il y a un esprit, une atmosphère et des questions que l’on sème, auxquelles on répond ou non. Heureusement, quand j’écris de la fiction, une partie de mon cerveau se met à off et j’arrive à déployer mon style. »

Il est également très conscient de la position à double tranchant qu’il occupe, maintenant qu’il pose sa pierre dans l’édifice littéraire québécois. « Quand on a une trajectoire déjà entamée, on est reconnu plus facilement, mais on peut aussi décevoir plus facilement, parfois doublement. Heureusement, je sens un réel enthousiasme face à mon roman, une attention et une ouverture. »

Le nid de pierres est présentement en librairies.

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