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CAQ: Comment François Legault est devenu nationaliste

Comment François Legault est devenu nationaliste
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QUÉBEC – L’auteur du budget de l’an 1 d’un Québec souverain tournera officiellement le dos à la souveraineté cette fin de semaine en dévoilant la nouvelle plateforme «nationaliste» de la CAQ. Si certains y voient un calcul stratégique, son parti parle plutôt d’une évolution politique. Chose certaine, François Legault joue son va-tout en vue des élections de 2018.

«Ce qui sera mis sur la table, c’est une position qui devrait rallier une majorité de nationalistes au Québec; autant ceux qui se retrouvent aujourd’hui au Parti libéral, mais qui sont déçus du manque d’ambition de leur parti, que les nationalistes qui sont au Parti québécois mais qui sont plus pragmatiques que leur parti», annonce Benoit Charette, porte-parole de la CAQ en matière d'affaires intergouvernementales canadiennes.

C’est à lui que François Legault a confié le développement de la nouvelle plateforme nationaliste du parti qui sera dévoilée dimanche à Laval. Depuis sa création en 2011, la CAQ affirme vouloir mettre la question nationale en veilleuse pendant dix ans afin de relancer l’économie. Mais l’arrivée de Pierre Karl Péladeau et sa position ferme sur la souveraineté a forcé le parti à prendre position, a admis François Legault sur les ondes de Radio-Canada en septembre dernier.

«C’est comme si le pape devenait musulman sans s’expliquer.»

— Bernard Landry

La CAQ se défend toutefois d’être électoraliste en tentant d’aller chercher des électeurs chez ses deux principaux adversaires. «Ce n’est pas une démarche qui est opportuniste, assure Benoit Charette. Ça vise à pallier le statu quo auquel nous confinent le PLQ et le PQ actuellement.»

Pour Benoit Charette, les deux formations «se campent dans des extrêmes», le premier en faveur de l’indépendance, l’autre du fédéralisme. «Les deux sont radicaux à leur façon», lance-t-il.

La CAQ proposera donc une troisième voie, celle d’un nationalisme revendicateur. «Depuis la ratification de la constitution canadienne sans l’accord du Québec, le Québec n’a pas fait de gains, n’a pas progressé. Donc, il est grand temps pour le Québec de faire des avancées», dit Benoit Charette.

Depuis septembre, il a rencontré des politologues et constitutionnalistes afin de définir la nouvelle position de la CAQ. Son parti a aussi consulté Jean Allaire, auteur du rapport Allaire et co-fondateur de l’ADQ, qui a depuis fusionné avec la CAQ.

«L’approche est très différente [de celle de l’ADQ]», promet toutefois Benoit Charette.

Et pas question de relancer les grands sommets constitutionnels. «On aborde le sujet de façon complètement différente des rondes constitutionnelles passées, dit le député caquiste. On n’est pas du tout dans la mécanique de Meech ou de Charlottetown.»

Le dur désir de durer

Certains analystes voient toutefois dans ce nouveau positionnement une volonté pour la CAQ de sortir du statut de deuxième opposition. «Sans parler d’un positionnement de la dernière chance, ça fait partie des derniers atouts que monsieur Legault et ses stratèges ont encore en main pour essayer de tester la validité de leur proposition dans l’électorat québécois», estime Thierry Giasson, professeur à l’Université Laval spécialisé en communication politique.

Il faut dire que la CAQ a vécu des moments difficiles depuis les élections de 2014. Trois députés ont quitté son caucus, dont l’ex-chef adéquiste Gérard Deltell qui avait fusionné son parti dans la CAQ. Le parti de François Legault a ensuite perdu la circonscription de Chauveau, où Deltell était très populaire. Maintenant, son ex-présidente Dominique Anglade est candidate pour le PLQ et pourrait siéger dès la semaine prochaine aux côtés d’une autre ex-vedette caquiste, Gaétan Barrette.

François Legault et Domninique Anglade en 2012

Et puis, les sondages ne sont pas encourageants. Après avoir connu un sommet de 39% d’intentions de vote avant même sa fondation officielle, la CAQ a obtenu 27,05% du vote populaire aux élections de 2012, puis 23% au scrutin d’avril 2014. Le parti est ensuite remonté jusqu’à 30% des intentions de vote devant un PQ sans chef, selon les chiffres de la firme CROP. Toutefois, ses intentions de vote ont reculé depuis l’élection de Pierre Karl Péladeau à la tête du PQ pour se situer entre 20% et 17%, toujours selon CROP.

Cette baisse de l’appui populaire se reflète dans la couverture médiatique du parti. «La tendance constante pour la CAQ est baissière depuis sa fondation», souligne le président d’Influence Communication, Jean-François Dumas.

En 2012, la CAQ occupait 23,58% de l’espace médiatique québécois, contre 19,5% l’an dernier, révèle une analyse d’Influence Communication réalisée pour Le Huffington Post Québec. En date du 2 novembre 2015, le parti avait obtenu 17% de l’attention médiatique cette année, contre 39% pour le PQ et 43% pour le PLQ.

«Ils n’ont peut-être pas la visibilité qu’ils aimeraient avoir, alors faire des annonces comme ça permet au parti d’attirer l’attention, de rappeler son existence», dit Thierry Giasson.

Retour aux sources?

Pour Louis Balthazar, auteur du livre Nouveau bilan du nationalisme au Québec, paru en 2013, le nouveau positionnement de la CAQ s’inscrit dans une longue lignée historique au Québec. Les Honoré Mercier, Maurice Duplessis et Jean Lesage ont occupé ce créneau, chacun à leur façon, rappelle-t-il.

«Pour moi, la CAQ aurait dû toujours occuper cet espace-là, lance Louis Balthazar. Ça me paraît plutôt naturel qu’il y ait un parti nationaliste au Québec qui ne va pas jusqu’à la souveraineté», ajoute celui qui se décrit comme un souverainiste pragmatique.

Déjà au moment de sa démission du PQ en 2009, François Legault faisait un constat brutal de la situation dans laquelle se trouvait le Québec, tant sur le plan économique que constitutionnel.

«Je quitte toutefois inquiet pour l'avenir du Québec, inquiet parce que je sens que le Québec s'est engagé dans un déclin tranquille, et cela, malheureusement, trop souvent dans la résignation et l'indifférence», disait-il

«Tout projet politique ambitieux, quel qu'il soit, peu importent les partis, est difficile à réaliser actuellement. Certains me parleront sûrement de la souveraineté, que nous n'avons pas encore réalisée, mais je pourrais aussi dire la même chose du renouvellement du fédéralisme dont le fruit n'en finit plus de mûrir. La question du Québec n'est pas réglée, mais c'est comme si on refusait de se l'admettre collectivement.»

La baisse constante de l’appui à la souveraineté et les résultats médiocres des formations souverainistes aux dernières élections plaident d’ailleurs en ce sens, croit Louis Balthazar. «Il y a de la place pour ça, il n’y a aucun doute. Ça représente une forte tendance dans la population.»

Même son de cloche du côté de Thierry Giasson. «Stratégiquement, c’est une bonne idée, dit-il. Il y a une proportion très importante de francophones québécois qui se revendiquent d’un certain nationalisme et qui souhaitent que le Québec ait accès à sa juste part.»

Feu la souveraineté

Pour ses anciens collègues péquistes, toutefois, la nouvelle profession de foi de François Legault a de quoi étonner. Ils rappellent que le chef de la CAQ était un «souverainiste pressé». «C’était un des plus indépendantistes de tous, se rappelle l’ex-premier ministre péquiste, Bernard Landry. Il aurait souhaité qu’on fasse un référendum pratiquement au bout d’un mois.»

Le changement d’allégeance du chef de la CAQ déçoit celui qui fut son chef. «Ça me coupe le souffle, dit-il. C’est comme si le pape devenait musulman sans s’expliquer.»

D’ailleurs, il n’hésite pas à rappeler que François Legault a rédigé le Budget de l’an 1 d’un Québec souverain. «Il démontrait que ça nous rapportait plusieurs milliards de dollars par année, d’être indépendants», souligne Bernard Landry.

François Legault et Bernard Landry en 2005

Son ex-compagnon d’armes doute même de la sincérité de sa démarche. «Je crois qu’il pense plutôt à son parti et à son avenir politique à lui, dit Bernard Landry. Ça ressemble à de l’opportunisme, et non pas à de la conviction profonde quant au destin du Québec.»

François Legault n’a pas souhaité accorder d’entrevue avant le dépôt de la nouvelle plateforme.

Pour sa part, Benoit Charette, qui a lui aussi quitté le PQ en 2011, explique avoir délaissé la souveraineté par «simple réalisme» et «pragmatisme». «Le Parti québécois est complètement déconnecté des aspirations de la population du Québec, dit-il. Le projet souverainiste est certainement légitime aux yeux de certains, mais c’est un projet auquel de moins en moins de gens croient.»

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