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«Heureuse», mascarade obscure de VULGAIRE (ENTREVUE)

«Heureuse», mascarade obscure de VULGAIRE (ENTREVUE)
Béatrice Flynn

Avec l’album Heureuse, VULGAIRE, évolution de Vulgar, You! opère un transfert linguistique dans l’identité et dans les textes. Le quatuor assagi et (presque) disparu des radars depuis Fais-moi jouir, fais-moi cuire, paru en 2011, fait déjà parler de lui.

2 octobre 2015, jour de lancement d’Heureuse: dans la salle enfumée, les quatre masqués comme des bourreaux donnent la cadence d’une valse gothique soutenue par des synthés pressés. Ceux-là ont supplanté les guitares furieuses de leur première production, les mélodies ont pointé le bout de leur nez, «une évolution naturelle pour un groupe entré dans l’âge adulte», explique Miel, buvant son double expresso. Il se présente comme «juste un porte-parole du groupe», il semble porter un masque supplémentaire, mais qu’importe.

Quatre ans se sont écoulés entre Fais-moi jouir, fais-moi cuire et Heureuse, entre Vulgar,You! et Vulgaire. Miel raconte:

«Une période vouée à l’écriture et à faire évoluer ce projet, plus proche des valeurs et des aspirations du groupe. Des valeurs plus ancrées dans l’interprétation objective des choses, dans la remise en question de ce qui a été créé et sa propre compréhension des choses. Le français est entré à ce moment en ligne de compte pour exprimer tout ca. Vulgar,You! avait un aspect plus instinctif, plus jeune et plus agressif, les gars se faisaient plaisir. En cinq ans il se passe beaucoup de choses dans la tête de quelqu’un, surtout quand tu entres dans l’âge adulte. Tu découvres de nouvelles inspirations».

Illusion et interprétation

Miel avoue des influences çà et là. Barbara, Baudelaire, Poe, de façon évidente dans cette narration clair-obscur et les thèmes qui leurs sont chers: l’amour, la solitude, la mort, l’illusion, le mal de vivre. VULGAIRE a accouché d’une dizaine de chansons aux textes énigmatiques, clamés d’une voix résonante brouillant parfois la compréhension: « Vulgaire cherche l’interprétation des autres. Oui on pourrait nommer quelques interprètes et sources d’inspiration mais ça serait biaiser l’équation car ce n’est pas vraiment ce qui a déterminé le choix initial de la création.»

Cette fameuse équation, il vous faut la mettre en forme à l’écoute, selon la volonté du groupe, interpréter VULGAIRE sans clés d’analyses déjà données. Les membres Carré, Oslo, Morris et Fleur s’en retirent aussi pour se noyer dans des projections ou du brouillard.

«VULGAIRE soustrait les créateurs, les personnages, les artistes et mélange les pistes. Dans un premier temps, la personne va chercher qui se cache derrière le masque mais n’aura pas plus de réponse, donc elle se focalisera sur la musique. On écarte rapidement le positionnement de l’artiste et on balaie le culte de la personnalité dans lequel sont tombés beaucoup d’artistes».

VULGAIRE suit son précepte et le fait évoluer depuis le début. Miel raconte ce concert il y a trois ans à M pour Montréal: un homme dans un gros cube en verre se rasait, attirant l’attention sur lui, tandis que le chanteur Carré se baladait dans la foule avec un masque miroir sur le visage, renvoyant à la foule sa propre image. Il y a eu aussi l’obscurité totale et les projections constantes. Le groupe soigne sa représentation tout en redoublant d’imagination pour se substituer. Le fantasme de Vulgaire: jouer enfoui dans un sous-sol, couché, une baie vitrée au-dessus de la tête et des gens qui dansent au-dessus. Continuer à tuer la personne qui parle et en explorer les méthodes.

VULGAIRE au féminin

La pièce centrale Heureuse, du prénom de leur muse, est proposée comme un point de départ de lecture du disque.

Le féminin revient au gré des 10 pistes: Femme, Rive, Heureuse… De même sur la photo de la pochette signée Béatrice Flynn, les membres revêtent un autre genre. Miel confirme le sentiment: Françoise Hardy, Barbara, Brigitte Bardot, des femmes qui ont entouré les membres, inspiré leurs joies et leurs déceptions… elles sont plusieurs à donner du corps à cette production et la forger dans son ambigüité. Il y a les sources d’inspiration fondées sur les relations interpersonnelles, souvent l’amour, mais aussi l’esthétique et la musicalité:

«La femme est poétique, c’est de la douceur qui se représente bien dans une violence musicale. C’est une belle contradiction. Les paroles sont très abstraites mais les grandes lignes sont plus féminines même si ce n’est pas un choix direct. Dans l’écriture ça se jouait plus dans l’abstraction, dans la contradiction, dans la subjectivité cassée. C’est comme ça que la poésie se transforme dans l’univers de VULGAIRE. Le féminin créé ce parallèle entre la douceur, l’aisance, la beauté féminine et la dureté, la froideur musicale des synthés, les rythme directs et francs de la basse et de la batterie.»

Entourage

Vulgaire appartient à cette grande famille artistique que les intimes appellent l’Axe, comprenez le croisement Saint-Denis/Mont-Royal à Montréal, où plusieurs nuits par semaine les riffs de guitares s’échappent de L’Escogriffe et du Quai des Brumes. Du temps de Vulgar, You!, le quatuor choisissait davantage les venues underground de la ville, la plupart du temps interrompues par la police. Puis les choses ont changé, pour eux mais pour d’autres aussi: «L’arrivée du collectif d’événementiel Analogue Addiction il y a deux ans a changé la donne, il y a eu une façon beaucoup plus intéressante de voir cette scène. Analogue a fait des ponts entre tout le monde : artistes, professionnels et surtout avec le public.»

Ce microcosme a encouragé aussi les bonnes rencontres, comme celle avec Joe Gagné des Breastfeeders avec qui ils ont enclenché le processus de création il y a deux ans, puis Jean-Michel Coutu, ingénieur de son et magicien de quelques énervés (Il danse avec les genoux, Red Mass, Jésuslesfilles…), qui a « su mettre en mots, comprendre une description de son abstraite. » Bonne pioche également du côté des visuels: « Le but est de créer un tout, autant visuel que musical. Béatrice Flynn (photographe d’Analogue Addiction, NDLR) prend nos photos, car ses projets personnels ont attiré l’œil de VULGAIRE. On avait une idée de la direction artistique, montrer quatre femmes qui ne sont pas nous, l’anonymat, on reste dans cet état d’esprit de laisser l’interprétation. Pour les projections c’est Thierry Sirois qui a pris des visuels réalisés par les membres. Grâce à eux, VULGAIRE garde son secret. »

Le prochain spectacle de VULGAIRE aura lieu le 20 novembre prochain dans le cadre de M pour Montréal, au Quai des Brumes évidemment.

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