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Kanye West, Donald Trump... quand la «disruption» fait son entrée dans la politique américaine

Quand la perturbation fait son entrée dans la politique américaine
Reuters

Évidemment, Kanye West a annoncé sa candidature aux élections présidentielles américaines. Évidemment, il a choisi de le faire à l’occasion des MTV Video Music Awards. Et évidemment, certains le prennent au sérieux.

L’artiste controversé, mais jamais falot, commet cependant l’erreur de se porter candidat aux élections de 2020 alors que c’est aujourd’hui que les antipoliticiens ont le vent en poupe.

Le mot d’ordre, c’est la perturbation.

En Iowa, où le coup d’envoi des primaires sera donné en février, un sondage vient de révéler que trois candidats républicains n’ayant jamais été élus - Donald Trump, star de la téléréalité et magnat de l’immobilier, le neurochirurgien Ben Carson et Carly Fiorina, l’ex-Pdg de Hewlett-Packard - obtiennent, à eux trois, 46% des suffrages. Selon un autre sondage récent, dans l’Iowa, Trump et Carson caracolent en tête avec 23% chacun, suivis de Fiorina, avec 10%. Le trio totaliserait là 56% des intentions de vote.

Pendant ce temps, les représentants élus d’hier et d’aujourd’hui qui se sont portés candidats à l’investiture républicaine plafonnent en dessous des 10% dans les deux sondages. L’ex-gouverneur de Floride, Jeb Bush, fils et frère de président, plafonne à 5 ou 6%.

Du côté démocrate, on constate en Iowa un même rejet des politiciens. Ainsi, Hillary Clinton, qui obtenait 57% en mai, a chuté à 37% aujourd’hui. Son principal adversaire, le sénateur socialiste Bernie Sanders, est passé de 15 à 30%.

Il ne fait décidément pas bon, cette année, faire partie des tenants de l’ordre ancien.

Il y a vingt ans, Clayton Christensen, professeur à la Harvard Business School, avait, le premier, appliqué le terme de “disruption” (rupture ou perturbation en français)au monde de l’innovation. En matière d’économie et d’échanges commerciaux, il pensait que les mobiles allaient supplanter les lignes terrestres et les ordinateurs personnels, tout comme les LED allaient remplacer les ampoules à incandescence.

Mais le même mot - et le même processus - s’applique à l’ensemble des sociétés et des gouvernements. Ces dernières décennies, nombre d’entre eux ont connu des bouleversements majeurs.

L’Union soviétique a été terrassée par l’individualisme, la libre concurrence et sa propre inefficacité. Les nations européennes, après s’être fait la guerre pendant des siècles, ont opté pour une nouvelle forme d’unité. La République populaire de Chine s’est lancée dans un capitalisme contrôlé. Le printemps arabe a tenté, avec un succès limité, de se propager à travers le Moyen-Orient.

Depuis 1945, le gouvernement ayant connu le moins de perturbations a sans doute été celui des États-Unis qui, après avoir gagné la Seconde Guerre mondiale, a assis sa position dominante sur le monde. Mais le “siècle américain” vit ses derniers instants. Les Américains ne font plus confiance à des institutions publiques qui se sont révélées incapables de relever les nouveaux défis auxquelles elles étaient confrontées.

Il faut reconnaître que les raisons d’une telle défiance ne manquent pas.

Le Congrès n’assure plus l’une de ses fonctions essentielles: voter le budget. Les partis politiques, obnubilés par l’argent et la frange la plus radicale de leur électorat, ne jouent plus le rôle de négociateurs qui leur incombait. Washington est obligé d’emprunter des milliards pour continuer à jouer l’État providence. Les militaires n’ont “gagné” aucune guerre traditionnelle depuis 1991 et ne savent pas comment venir à bout de Daech. Les frontières sont poreuses et les lois sur l’immigration, désastreuses. À l’inverse de la classe moyenne, les grandes banques sont plus puissantes que jamais et les Pdg d’entreprises, toujours plus riches. Le mouvement pour la défense des droits civils – incapable de faire prospérer l’idée d’égalité, tant dans les textes qu’au niveau de la jurisprudence – s’essouffle. Les réformes post-Watergate portant sur le financement politique ont été vidées de leur sens par les tribunaux, grâce auxquels les milliardaires ont désormais la possibilité de s’offrir des campagnes. Barack Obama, président efficace sur bien des fronts, n’a pas réussi à inspirer ce changement fondamental que tant espéraient.

Dans ce marasme fait d’impasses et de dysfonctionnements, les politiciens traditionnels - sans parler de ceux dont les familles sont connues depuis des générations- se voient débordés par des outsiders en rupture. Affranchis des méthodes du passé et des médias traditionnels, ces derniers ont tendance à apporter des réponses excitantes, bien que simplistes ou irréalistes; ils jouent avec les peurs et les émotions des électeurs plutôt que se conformer aux programmes de partis d’un autre âge. Ils ont une attitude offensive et font campagne à coups de dénonciations fracassantes.

Trump, qui règne sur le camp des républicains, est expert en tous ces domaines. Pour lui, tout ce qui va mal aux États-Unis est imputable à des forces et des individus extérieurs au pays, et en particulier aux Mexicains, aux Chinois et aux Japonais. Il déclare que les représentants élus à Washington “n’y connaissent rien”, traite Obama et ses conseillers de “naïfs” et promet de résoudre n’importe quel problème épineux à sa façon, c’est-à-dire par la force.

Tout d’abord considéré comme un clown, puis comme une passade et une curiosité estivale destinée à s’affadir, il est aujourd’hui pris au sérieux par les membres du parti républicain et par de nombreux commentateurs.

Certains conservateurs voient en lui l’illustration de l’idée jeffersonienne selon laquelle chaque génération a besoin d’une “révolution” populiste. “Les vagues de réforme populiste sont cycliques", indique l’historien Craig Shirley, éminent biographe de Ronald Reagan. Au cours des siècles précédents, des leaders comme Andrew Jackson ou Teddy Roosevelt se sont servis de leur statut d’outsider pour attiser le ressentiment vis-à-vis du pouvoir établi et promouvoir le changement.

Mais d’autres conservateurs se joignent au chœur d’écrivains notoires qui s’inquiètent du fait que Trump, avec sa rhétorique dangereuse et son ignorance délibérée, est l’“homme fort” autoritariste par excellence.

“Ma famille et moi avons quitté Cuba à la fin des années 1950 pour fuir ce genre de leaders", déclare Alex Castellanos, consultant du parti républicain. "Je ne dis pas que nous sommes sur le point de devenir une ‘république bananière’ ni une dictature communiste, mais il m’inquiète.”

Le chroniqueur conservateur George Will (dont la femme travaille pour un autre candidat à l’élection présidentielle, le gouverneur du Wisconsin Scott Walker) fait état des mêmes craintes, tout comme le modéré Thomas Friedman, du New York Times.

Pour George Will, la promesse de Trump visant à déporter 11 millions d’immigrés sans papiers est une mesure que n’aurait pas reniée le parti nazi. Friedman se montre moins pessimiste. Trump, écrit-il, lui rappelle le sénateur Joseph McCarthy, qui avait brièvement fait parler de lui à la fin des années 1940 en accusant divers membres du gouvernement d’être des espions à la solde des Soviétiques.

Kanye West, qui a fait ses débuts en politique en 2005 en accusant le président George W. Bush de ne "tenir aucun compte des Noirs”, ne s’en est pas encore pris à Donald Trump.

Cela ne saurait tarder. On assistera alors à l’affrontement de deux perturbations…

Ce blogue, publié à l’origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Catherine Biros pour Fast for Word.

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