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Être «modèle vivant» nu au Québec: quelle réalité?

Témoignage d'un modèle «vivant» nu qui dénonce un travail difficile et qui n'est pas reconnu
Courtoisie

L'été dernier, une grève bien particulière a sévi de l'autre côté de l'Atlantique. C'est la «grève du nu» dans les ateliers et les écoles d'Arts parisiens. Les modèles vivants, qui posent nus pour ces cours, ont tout simplement décidé de se rhabiller afin de faire entendre leurs voix et de demander à ce que leur métier soit reconnu par les pouvoirs publics.

Une grève outre-Atlantique qui nous fait nous interroger sur la situation des mannequins modèles vivants nus au Québec. Nous avons rencontré Pascale Bernardin, modèle vivant depuis 17 ans, afin de nous parler de sa réalité.

Faire face aux préjugés

Pascale travaillait dans le milieu du cinéma avant de débuter sa carrière comme modèle. Elle en avait marre des horaires irréguliers, et étant «très à l'aise» avec son corps, s'est lancée grâce au bouche-à-oreille dans cet univers méconnu.

Méconnu, au point qu'en dehors du milieu des arts, il n'est pas rare qu'on la prenne pour une «extra-terrestre».

«Il n'y a aucune connaissance de ce milieu, aucune reconnaissance. Dès que je sors du secteur des arts, communication, oublie ça. Ils sont là: c'est quoi ça modèle vivant? Ils tombent à terre. Il n'est pas facile de faire reconnaître nos droits, nous sommes considérés de la même façon qu'une danseuse dans un bar érotique».

Au point qu'une fois, alors que Pascale était dans un bar avec son conjoint, elle a rencontré quelqu'un qui est parti chercher une bière et n'est jamais revenu, après avoir appris son métier.

Pas forcément un job étudiant

Tout comme en France où a été créée la Coordination des modèles d'art afin de défendre les intérêts de la profession, Pascale raconte qu'avec d'autres modèles, l'idée de monter un syndicat a déjà été soulevée dans le passé. Mais sans succès.

Car contrairement à la croyance populaire, le métier de modèles vivants nus n'est pas forcément un job étudiant, un extra, ou une façon d'ajouter un peu de beurre à ses épinards. Comme de nombreux modèles vivants, Pascale travaille 40h par semaine, parfois plus, dans des écoles d'art, des ateliers populaires, des cours académiques à Concordia et Mc Gill, et même pour Ubisoft. Elle est travailleuse autonome et gagne moins de 30 000$ par an.

«C'est mon remboursement d'impôt qui me permet de vivre l'été, je prends aussi quelques contrats et je pose dans une école d'été à Toronto», explique celle dont le salaire dépend des rythmes scolaires.

Dans les cours académiques et les Cégeps, les modèles gagnent entre 25 et 30 $ de l'heure. Environ 80$ pour 3h dans les ateliers d'artistes.

Mais plus que leurs conditions salariales, ce sont des assurances que demanderait Pascale si un syndicat était créé.

«Si on tombe malade, on est blessé, nous autres, on n’a rien. Tous les contrats, tu les perds, c'est fini. Si on est blessé, ce ne sont pas les universités qui vont nous aider», déplore-t-elle.

Une profession très physique

Blessé, voilà une situation qui n'a rien d'hypothétique. Car le métier de modèle vivant est physique.

«Il faut être capable de composer avec la douleur. Tu ne peux pas lâcher la pose. Il est important de bien connaître son corps».

Pour cela, Pascale a appris des techniques de respiration et même de méditation.

«Il faut un entraînement, je fais de la course, de la natation. Je ne peux pas me coucher à 2h du matin. Il me faut une hygiène de vie saine».

Au début de sa carrière, Pascale a commencé à poser pour des cours de dessins. De courtes poses, de 30 secondes, cinq minutes. Aujourd'hui, elle pose pour des cours de peinture de 3h lors de sessions de quatre semaines. «La même pose pendant quatre semaines», précise-t-elle.

«Je bouge à chaque 40 minutes, ça demande beaucoup de méditation. C'est une transe».

Pascale se souvient à la fin de notre entrevue de poses parfois extravagantes qui peuvent être demandées dans des ateliers populaires (des milieux moins professionnels). Des demandes parfois impossibles à combler, et qui nécessitent une grande force de caractère et une conscience des limites de son propre corps.

«Je ne suis pas Superman, je suis un modèle vivant», a-t-elle parfois besoin de rappeler.

Un métier parfois «dangereux»

Des milieux moins professionnels qui peuvent aussi être «dangereux».

«C'est plus propice à la présence de voyeurs. C'est là qu'il faut faire attention. Les gens n'ont pas le droit de toucher au modèle. Ils vont te prendre comme si tu étais une poupée».

Linda Venne est professeure de dessins et de peinture au Centre Art Neuf depuis 13 ans. Dans ses cours, elle ne permet pas qu'on manque de respect à ses modèles vivants.

«Pas de photos sans le consentement du modèle. Je ne permets pas qu'on soit impoli avec les modèles. Je fais même parfois poser les étudiants pour savoir ce que c'est d'être modèle. Je leur fais prendre conscience que c'est un métier difficile», a-t-elle expliqué.

Face au manque de statut officiel, c'est un réseau parallèle de bouche-à-oreille qui s'est créé dans la profession. C'est souvent comme cela que Linda Venne recrute ses modèles, et c'est également comme cela que Pascale Bernardin a construit sa carrière. Un bouche-à-oreille qui garantit le professionnalisme du modèle, mais aussi le salaire payé, les conditions de travail et de sécurité.

Une règle cependant que nous partage Pascale: «ne jamais accepter de poser avec un homme tout seul dans un atelier».

Malgré le manque de syndicat, ou de lutte commune au Québec pour défendre cette profession, Pascale insiste sur l'importance de garder ce métier qui date de l'Antiquité, en vie. Un métier qui promeut la diversité des corps et des formes.

«Les dessinateurs le disent, ils veulent de la chaire. Si tu ressembles aux modèles standards de beauté, ils ne te prennent pas. Si tu as un petit ventre, des fesses, là oui. Ils recherchent des gens qui ont du caractère, quelque chose d'original».

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