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Génocide arménien: pour la commémoration des 100 ans, un terme qui fait toujours débat (VIDÉO)

Génocide arménien: pour la commémoration des 100 ans, un terme qui fait toujours débat

Un jour de mémoire. L'Arménie commémore ce vendredi 24 avril le centenaire des massacres ayant coûté la vie à 1,5 millions des leurs sous l'Empire ottoman. Des centaines de milliers de personnes sont attendues dans la capitale Erevan pour une cérémonie au Mémorial dédié aux victimes du génocide arménien. Parmi les invités, les présidents russe Vladimir Poutine et français François Hollande.

Et, pour cette commémoration, l'Allemagne a envoyé un signal fort. Pour la première fois, le président allemand a reconnu le "génocide" arménien et a admis une "coresponsabilité" de l'Allemagne. Le mot était jusqu'alors tabou de l'autre côté du Rhin.

Recep Tayyip Erdogan comptera en revanche parmi les absents. Alors premier ministre, le président turc avait fait un pas en avant en 2014, présentant ses condoléances pour les victimes mais refusant toujours de qualifier de "génocide" cette période noire du XXe siècle. Les Arméniens estiment que leurs ancêtres ont été tués de manière systématique. Jeudi 23 avril, l'Eglise arménienne a canonisé, c'est à dire reconnu comme saints, ces 1,5 million de personnes. Mais la Turquie évoque une guerre civile en Anatolie doublée d'une famine, dans laquelle "seulement" 300 à 500.000 Arméniens et autant de Turcs auraient trouvé la mort.

A ce jour, une vingtaine de pays (ainsi qu'un certain nombre d'Etats américains) ont reconnu le génocide arménien, parmi lesquels la France depuis 2001 (voir la vidéo ci-dessus). C'est aussi le cas du Parlement européen, mais pas de l'Onu. En 2008, lors de sa campagne électorale, Barack Obama avait par ailleurs promis de le reconnaître mais depuis, il s'est gardé d'employer ce terme. Sarkozy, de son côté, a demandé ce jeudi 23 avril à la Turquie de "regarder son histoire en face et de l'assumer". "Je ne sais pas combien de temps cela prendra mais je crois que la raison et la lucidité finiront par l'emporter" a-t-il déclaré dans une interview accordze à Politique Internationale. Pourquoi cette question reste-t-elle taboue 100 ans après, et comment définit-on un génocide?

La Shoah, point de départ du concept de génocide

genocide arménien

Le procès de Nuremberg en 1946

Comme le rappelle l'USHMM (United States Holocaust Memorial Museum), le mot "génocide" est un néologisme façonné en 1944 par Raphael Lemkin. Conseiller au secrétariat américain à la Guerre d'origine juive polonaise, il l'a employé pour décrire la Shoah, processus d'extermination systématique des juifs d'Europe par l'Allemagne nazie. Selon Lemkin, un génocide correspond à un "plan coordonné de différentes actions menées dans le but de détruire les fondations essentielles de la vie de groupes nationaux, dans le but d'annihiler ces groupes".

S'appuyant sur la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de l'Onu, le Larousse en donne une définition large: "crime contre l'humanité tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Le dictionnaire évoque des "atteintes volontaires à la vie, à l'intégrité physique ou psychique, la soumission à des conditions d'existence mettant en péril la vie du groupe, les entraves aux naissances et les transferts forcés d'enfants".

Une définition "imprécise", juge le spécialiste des crimes contre l'humanité Yves Ternon, selon lequel "il est préférable de la limiter à la destruction physique, massive d'une partie substantielle d'un groupe humain dont les membres sont tués pour leur appartenance à ce groupe et d'ajouter 'destruction intentionnelle'". Pour l'historien, le génocide est avant tout "une définition juridique d'une infraction internationale", et "constitue la forme extrême du crime de masse".

C'est pour qualifier la Shoah que le terme de génocide s'est imposé lors du procès de Nuremberg (1945-46), avant de devenir le crime le plus grave en droit international. Si les propos exacts et l'utilisation ou nom du terme "génocide" prêtent à confusion, même l'Iran a fini par reconnaître et condamner l'Holocauste par la voix de son président Hassan Rohani, alors que son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad en niait l'existence. De par son aspect exceptionnel, l'expression génocide reste maniée avec précaution par la communauté internationale, et fait très rarement l'unanimité.

Des cas de génocides contestés

genocide armenien

Le cimetière des victimes du massacre d'Halabja

Le génocide rwandais, qui a fait 800.000 morts parmi les Tutsis et Hutus modérés en 1994, ainsi que le massacre de Srebrenica, au cours duquel près de 8000 garçons et hommes musulmans ont été exécutés en 1995 par les Serbes de Bosnie, sont avec la Shoah, les deux seuls autres génocides reconnus par les institutions internationales et la plupart des pays. S'il est le plus grave, le génocide reste un crime difficile à établir sur le plan légal, d'autant qu'il va souvent de pair avec des enjeux politiques.

Pour le cas arménien, le refus des Etats-Unis d'employer le mot "génocide" au plus haut sommet de l'Etat a ainsi été interprété par certains experts comme une volonté de ne pas froisser la Turquie, alliée incontournable des Américains au Moyen-Orient. Par ailleurs, si l'Allemagne a aussi reconnu les massacres commis par l'Empire ottoman, elle est confrontée à la fois à une forte communauté d'origine turque, mais évidemment aussi à son passé, qui explique pourquoi l'emploi du terme "génocide" restait un tabou. Jusqu'à ce jeudi 23 avril où, pour la première fois, le président allemand a reconnu le "génocide" arménien et une "coresponsabilité" de l'Allemagne.

A l'image du cas arménien, d'autres massacres qualifiés de génocides par les nations ou peuples qui en ont été victimes sont aussi très contestés.

On peut citer le génocide grec pontique, qui désigne les massacres perpétrés entre 1914 et 1923 par l'Empire ottoman contre la minorité grecque de la région du Pont (nord-est de la Turquie). Qualifié de "génocide" par la Grèce, ces exactions auraient causé 350.000 morts mais la Turquie nie la qualification de génocide, qui n'est reconnue ni par l'Onu, ni par l'UE. Autre cas de figure, les Kurdes cherchent à faire reconnaître comme génocide la campagne d'Al-Anfal en Irak: en 1988, le régime de Saddam Hussein a massacré entre 100.000 et 180.000 Kurdes et fait usage d'armes chimiques pour bombarder Halabja, où 5000 personnes ont été tuées en trois jours.

Plus loin dans le passé, le terme de génocide a été utilisé par certains auteurs et militants des droits civiques américains pour décrire le massacre des peuples indigènes en Amérique, mais aussi la traite des Noirs, voire en France le "génocide vendéen". Selon les défenseurs de cette thèse, dont certains élus UMP et FN, la répression de l'insurrection contre-révolutionnaire vendéenne, qui a fait 170.000 morts entre 1793 et 1796, est un "génocide". Une vision très contestée par les historiens.

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