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Dix ans après les émeutes de 2005 en France, où est passée la colère des banlieues?

Dix ans après les émeutes de 2005 en France, où est passée la colère des banlieues?
French anti-riot police protect themselves with shields as a thick cloud of smoke bellows from blazing cars set alight by rioters in La Reynerie housing complex in the Mirail district of Toulouse, southwestern France, Thursday, Nov. 10, 2005. For the first time since arson and rioting broke out across France, President Jacques Chirac directly addressed the inequalities and discrimination that fuels rioters' anger, saying Thursday the country has
ASSOCIATED PRESS
French anti-riot police protect themselves with shields as a thick cloud of smoke bellows from blazing cars set alight by rioters in La Reynerie housing complex in the Mirail district of Toulouse, southwestern France, Thursday, Nov. 10, 2005. For the first time since arson and rioting broke out across France, President Jacques Chirac directly addressed the inequalities and discrimination that fuels rioters' anger, saying Thursday the country has

Octobre 2005. Pendant trois semaines, plusieurs quartiers de banlieues de France s'enflamment. A l'origine de ces violences, la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. Ces deux jeunes, âgés respectivement de 17 ans et 15 ans, sont morts électrocutés dans un transformateur EDF, alors qu'ils étaient poursuivis par la police. Seul leur ami de 17 ans Muhittin Altun, grièvement blessé, a survécu. Ce lundi 16 mars, le procès de deux policiers impliqués dans cette poursuite s'ouvre à Rennes. Ils avaient d'abord bénéficié d'un non-lieu avant d'être renvoyés en correctionnelle, ultime étape d'une affaire pleine de rebondissements.

Depuis cet événement tragique, qui a profondément marqué le pays, dix années se sont écoulées. Dix années qui ont laissé une crise s'installer durablement, et durant lesquelles d'autres affrontements, d'une moindre ampleur, ont éclaté (Villiers-le-Bel, Grenoble, Amiens-Nord). Alors, à l'heure où un point final va peut-être être mis au volet judiciaire de l'affaire Zyed et Bouna, qu'en est-il des questions et des réalités soulevées par les émeutes de 2005? La colère des habitants des quartiers populaires, leur sentiment d'être des laissés-pour-compte, la précarité socio-économique qui les touche sont-ils toujours d'actualité?

La colère des émeutes, un sentiment d'injustice

"La vraie question, c'est de savoir de quelle colère on parle", répond Mehdi Bigaderne, quand on lui pose la question. Pour le co-fondateur du collectif AC le feu, fondé après les violences de 2005, "la colère des émeutes est née à la suite d'un événement tragique, elle illustrait le sentiment d'injustice". Un constat partagé par Olivier Klein, maire PS de Clichy-sous-Bois. "Il faut bien noter que ce qu'il s'est passé en 2005 est lié à la mort dans des conditions terribles de deux enfants. Ca a été le déclencheur des émeutes face à l'absence de compassion de l'Etat puisque dès les premières heures, c'est l'opprobre qui a été jeté sur ces jeunes", se souvient-il.

Depuis, la violence dans ces quartiers n'a jamais atteint de telles extrémités. Mais pour autant, cela ne signifie pas que le sentiment de colère n'existe pas, loin de là. "La colère liée à la violence sociale, à la précarité, à la conjoncture économique est effectivement toujours présente et localement, en tant qu'acteurs de terrain, on l'entend toujours", souligne Mehdi Bigaderne, également élu municipal à Clichy-sous-Bois. Car, comme le rappelle Sylvie Tissot, professeure de science politique à l'Université Paris 8, "en dix ans, beaucoup de choses ont changé mais pas forcément en bien". "Les facteurs socio-économiques se sont aggravés. C'est le cas dans toute la France, mais ça a particulièrement touché les gens déjà en précarité", ajoute-t-elle. "A cela s'est ajoutée la stigmatisation, une nouvelle forme de racisme qui cible, il faut le dire, la population musulmane ou de culture musulmane", affirme également Sylvie Tissot.

Olivier Klein, de son côté, souligne qu'il y a eu quelques avancées. "Je ne peux pas dire que rien n'a changé en 10 ans. Ne serait-ce que physiquement. Il y a eu par exemple un programme de renouvellement urbain, le développement de quelques services publics etc". Mais il reconnaît aussi "que la crise touche encore plus durement les habitants des quartiers populaires, ce qui rend effectivement les choses plus aiguës, la colère plus présente".

Vivre mieux maintenant et pas dans dix ans

Des petits changements qui ne suffisent pas pour Mehdi Bigaderne. "Certes, à Clichy-sous-Bois, il y a eu une belle opération de rénovation urbaine, mais l'urbain ne suffit pas à soigner l'humain. Remettre les mêmes populations dans de nouvelles habitations ne règle pas les problèmes de chômage par exemple. Même si de meilleures conditions de logement redonnent évidement une dignité essentielle. L'attente des habitants et l'urgence sociale dans laquelle ils se trouvent sont toujours là. Et le sentiment d'abandon est toujours aussi criant", assure-t-il.

Le problème selon l'édile de Clichy-sous-Bois, c'est qu'il est souvent difficile de faire avancer les choses. "Les habitants savent qu'on travaille à améliorer les choses mais ils ont envie de vivre mieux aujourd'hui et non pas dans dix ans. Et c'est une attente légitime. On aura gagné le jour où on arrivera à mettre en oeuvre les politiques publiques dans un temps plus court. Je serai optimiste le jour où le choc de simplification arrivera dans les quartiers. Le poids de l'administration est très long", déplore Olivier Klein qui prend pour exemple le cas du tramway. Prévu pour désenclaver la ville, le chantier a été décidé en 2004 mais vient seulement de commencer. Et il faudra attendre 2018 pour sa mise en service. Et que dire de l'agence Pôle emploi, réclamée depuis plusieurs années par la mairie, mais qui n'a ouvert que l'année dernière alors que le chômage dans cette ville de la région parisienne est environ deux fois plus élevé que dans le reste du pays.

"Une vie sociale bien plus importante que dans les beaux quartiers"

Si les acteurs de terrain perçoivent ces sentiments d'abandon et de colère, comment expliquer le peu d'écho de cette situation au niveau national? Le changement de majorité en 2012 y est-elle pour quelque chose? "Je ne sais pas si l'élection de François Hollande a joué dans le sens de l'apaisement de la colère, mais force est de constater qu'il n'y a plus de phrases insultantes. On n'entend pas le mot "racaille" (même si on entend d'autres propos tout aussi choquants sur les Roms)", constate Sylvie Tissot. "Cependant, ce n'est pas suffisant pour satisfaire les habitants des quartiers populaires", estime-t-elle, d'autant que "le président a mis de côté une de ses promesses, celle de mettre un terme aux contrôles au faciès qui était une attente très forte".

En revanche, explique la chercheuse, "pour exprimer sa colère, il faut avoir un sentiment de légitimité, avoir confiance. Ce qui n'est souvent pas le cas quand on subit l'exclusion". Par ailleurs, exprimer sa colère ne passe pas nécessairement par la violence. "Il y a des formes de résistance qui se mettent en place. Elles ne sont pas forcément organisées, ça peut être des réseaux informels comme la solidarité qui peut exister entre les habitants", analyse-t-elle. Olivier Klein va dans le même sens. "Pour les plus fragiles, ce n'est pas la priorité de faire entendre leur voix. A l'inverse, on a des habitants très engagés", précise l'élu en pensant par exemple "aux parents d'élèves très attentifs à tout ce qui est mis en place". "Ici, il y a une vie sociale bien plus importante que dans les beaux quartiers. Une réelle solidarité existe entre les habitants", avance-t-il.

Encore faut-il s'y intéresser. Car médiatiquement, ce sont les faits divers qui focalisent l'attention plutôt que la détresse des habitants. Sans parler des initiatives positives, de l'investissement ou de la réussite des citoyens qui sont rarement relayés. C'est ce que déplorait dans un précédent article du HuffPost Djelloul Atig, élu à Grigny. "La veille des attentats [de Charlie Hebdo, ndlr], nous avons organisé une soirée pour féliciter les jeunes diplômés de la ville. Il y avait un journaliste pour 200 jeunes. Depuis les attentats, il y a 200 journalistes pour un dérapage", se désolait-il.

Des porte-paroles trop peu nombreux

Autre explication, une représentativité limitée. Car, comment se faire entendre sans porte-voix? Pour Mehdi Bigaderne d'AC le feu, "c'est vrai qu'il y a une carence de leadership. Ce qui est important, c'est que les quartiers populaires s'organisent, et c'est en ce sens que la coordination 'Pas sans nous' s'est constituée. Il s'agit de mettre en avant le pouvoir d'agir des habitants. Il est indispensable que ce genre de regroupements soient reconnus et qu'ils soient légitimes, au même titre que les syndicats sont les représentants légitimes lors d'un conflit social", espère l'associatif.

"Non seulement il manque des porte-paroles de ce ras-le-bol, mais ils devraient être issus de ces quartiers-là. La classe politique française a quand même encore beaucoup de mal à s'ouvrir", regrette Sylvie Tissot qui relève qu'"il y a un fossé très fort avec la classe politique". En tant que maire de Clichy-sous-Bois, Olivier Klein se voit lui comme une "vigie","comme Claude Dilain [ancien maire de la ville et sénateur décédé le 3 mars, ndlr] avant moi ainsi que d'autres élus". "Si le président de la République, le premier ministre, le président des deux chambres sont venus a l'hommage à Claude Dilain, c'est le signe que nos voix portent, c'est plus qu'un symbole", selon lui.

Reste à savoir si se faire entendre, si relayer le ressenti des habitants, est suffisant. Clairement pas, pour Mehdi Bigaderne: "Aujourd'hui les quartiers populaires ne vivent que par la politique de la ville, qui était à la base une politique censée être éphémère, le droit commun doit reprendre sa place. Entendre nos doléances ne suffit pas, on attend les actes. Je pense que les choses vont dans le bon sens, mais on attend des actions à la hauteur des besoins".

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