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Recep Tayyip Erdogan, nouveau "sultan" controversé de la Turquie

Recep Tayyip Erdogan, nouveau "sultan" controversé de la Turquie

Ses fidèles le vénèrent autant que ses critiques le haïssent. Le nouveau président turc Recep Tayyip Erdogan, officiellement investi jeudi, s'est imposé en onze ans comme un maître absolu, mais de plus en plus contesté, de la Turquie.

Comme l'a prouvé ce nouveau succès, le dirigeant turc reste de très loin, à 60 ans, l'homme politique le plus populaire et le plus charismatique de son pays depuis Mustafa Kemal Atatürk, l'emblématique père de la République laïque. "Il est le mâle dominant de la politique turque", résume un diplomate.

Dans l'esprit de la majorité religieuse et conservatrice du pays, il est celui qui leur a permis de bénéficier d'une décennie de forte croissance économique et d'une stabilité politique dont ils avaient perdu l'habitude.

Mais depuis un an, M. Erdogan est aussi devenu la figure la plus critiquée de Turquie.

Dénoncé comme un "dictateur" dans la rue pendant les émeutes de juin 2013, il est considéré comme un "voleur" depuis sa mise en cause, l'hiver dernier, dans un scandale de corruption sans précédent qui a fait trembler son régime sur ses bases.

Des écoutes téléphoniques pirates l'ont dépeint en "parrain" extorquant des pots-de-vin aux patrons ou en autocrate imposant leur "une" aux médias. Et ses décisions de bloquer l'accès aux réseaux sociaux Twitter et YouTube ont suscité une avalanche de protestations, en Turquie comme dans les capitales étrangères.

"Il se considère au-dessus des lois et ne respecte aucune règle", répète son principal opposant, le social-démocrate Kemal Kiliçdaroglu.

Mais celui que rivaux et partisans présentent comme un nouveau "sultan" est un battant. Sûr de sa popularité, il a répondu à toutes les attaques en reprenant sa stratégie favorite, celle de "l'homme du peuple" victime d'un "complot" des élites.

Pendant des semaines, il a galvanisé sa base en agitant le spectre d'un "complot" ourdi contre lui par ses anciens alliés de la confrérie de l'imam Fethullah Gülen. Avec succès, puisque son parti a remporté haut la main les municipales du 30 mars (45% des voix).

C'est en cultivant cette image d'homme fort, proche des préoccupations du Turc de la rue, que ce gamin des quartiers modestes d'Istanbul a gravi les marches du pouvoir.

Éduqué dans un lycée religieux, vendeur de rue, "Tayyip" a un temps caressé le rêve d'une carrière de footballeur, avant de se lancer en politique dans la mouvance islamiste.

Elu maire d'Istanbul en 1994, il triomphe en 2002 lorsque son Parti de la justice et du développement (AKP) remporte les législatives. Et devient Premier ministre un an plus tard, une fois amnistiée une peine de prison qui lui avait été infligée pour avoir récité en public un poème religieux.

Pendant des années, son modèle de démocratie conservatrice, alliant capitalisme libéral et islam modéré, enchaîne les succès, dopé par la croissance "chinoise" de son économie et sa volonté d'entrer dans l'Union européenne (UE).

Réélu en 2007 puis en 2011, avec près de 50% des voix, il se prend alors à rêver de rester au pouvoir jusqu'en 2023 pour célébrer le centenaire de la République turque.

Mais ce scénario se complique en juin 2013. Pendant trois semaines, plus de trois millions et demi de Turcs exigent sa démission dans la rue en lui reprochant sa main de fer et une politique de plus en plus ouvertement "islamiste".

Le chef du gouvernement répond par une répression sévère des "pillards" et des "terroristes" qui le contestent, mais son crédit démocratique en prend un sérieux coup.

"Depuis qu'il a pris le pouvoir, il a progressivement viré du pragmatisme à l'idéologie, du travail d'équipe aux décisions personnelles, de la démocratie à l'autoritarisme", résume Ilter Turan, professeur à l'université Bilgi d'Istanbul.

En mai dernier, après la catastrophe minière de Soma (301 morts), il s'est lui-même chargé de nourrir les critiques en menaçant physiquement un manifestant. "Si tu hues le Premier ministre, tu vas te prendre une claque!", lui a-t-il lancé.

Pendant sa campagne présidentielle, M. Erdogan a multiplié les imprécations, contre le "fascisme" d'Israël ou une journaliste "effrontée" qui a osé le critiquer. Et, comme une provocation, il a consacré son première sortie de président élu à une prière dans la mosquée Eyup Sultan d'Istanbul, comme les chefs de l'Empire ottoman.

Ces sorties ont réjoui ses partisans et conforté son image de chef auprès de ses fidèles, mais indigné encore un peu plus ses détracteurs.

"Dans ce climat très polarisé, le culte d'Erdogan constitue une menace pour la démocratie et la paix sociale en Turquie", s'est inquiété l'éditorialiste Kadri Gürsel.

Désormais à la tête de l'Etat, Recep Tayyip Erdogan veut diriger le pays comme un président "fort" en réformant à sa main la Constitution, contre la volonté de l'opposition qui crie au scandale.

"Erdogan va utiliser jusqu'à leur extrême limite tous ses pouvoirs constitutionnels", a prédit l'universitaire Ahmet Insel, "ça va conduire à une sérieuse crise de régime en Turquie, source d'encore plus d'instabilité et de turbulences".

pa/fw

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