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Pour les bébés volés de la dictature argentine, une identité à reconstruire

Pour les bébés volés de la dictature argentine, une identité à reconstruire

Des dizaines d'Argentins ont découvert à l'âge adulte qu'ils étaient en fait des enfants d'opposants politiques éliminés pendant la dictature, un processus de restitution de l'identité long et douloureux, avec en point de mire, une libération.

Prendre connaissance de la réalité, le choc qui suit, la rencontre avec la famille biologique, le changement de nom, la tâche est ardue.

Probablement celle qui attend Ignacio Hurban, devenu mardi Guido Montoya Carlotto, enfant de guérilleros et petit-fils de la présidente des Grands-mères de la Place de Mai, qui cherche depuis près de 37 ans les enfants disparus de la dictature.

Environ 500 enfants sont nés dans les maternités clandestines du régime militaire (1976/83) et ont été élevés dans des familles de militaires, de policiers, parfois les bourreaux de leurs parents, qui les ont éduqués aux antipodes de ce qu'étaient leurs géniteurs.

"Pendant 26 ans, je n'ai vécu qu'un grand mensonge", confie Pedro Sandoval, né fin 1977 en Buenos Aires et inscrit trois mois plus tard à l'état civil comme le fils d'un chef de la gendarmerie.

"La reconstruction de l'identité est un processus qui dure de nombreuses années, progressif" et "chaque histoire est singulière", note la psychologue Alicia Stolkiner, qui a vu passer des dizaines d'enfants "récupérés" par les Grands-mères de la Place de Mai.

Les premiers "bébés volés" de la dictature ont été retrouvés dans les années 1980. Au total, les Grands-mères ont identifié 114 enfants sur environ 500, le nombre estimé de nouveaux-nés arrachés à leur mère le jour de leur naissance.

Parmi eux, dit-elle, "certains ont connu une enfance difficile, ont été maltraités, alors que d'autres ont été surprotégés".

Un enfant élevé dans un foyer très catholique a par exemple réalisé que sa famille biologique était juive.

"Le processus est beaucoup plus simple quand les parents sont de bonne foi (quand ils ignorent l'origine des enfants, ndlr), sans responsabilité quand à une dissimulation de l'origine", assure la psychologue.

"En 2004, quand j'ai reçu le résultat de l'analyse génétique, j'étais partagée. Il y a eu de la douleur mais ce qui prévaut c'est la sensation que tu es libre et que tu peux choisir", affirme Victoria Donda, 37 ans, née à l'Ecole de mécanique de l'armée (ESMA), tristement célèbre centre de torture et de détention clandestin.

Elevée par son oncle, un policier soupçonné d'avoir livré ses parents aux militaires, elle est devenue en 2007 la première enfant "récupérée" à devenir députée fédérale. "Le processus de reconstruction, c'est quelque chose qui dure toute la vie".

Pedro Sandoval a d'abord refusé de faire le test ADN, mais un prélèvement lui a été imposé dans le cadre d'une procédure judiciaire, qui a révélé son identité en 2006.

"L'inconnu fait toujours peur, dit-il, mais cela valait la peine d'ouvrir cette porte et reconstituer mon histoire et celle de mes parents. J'ai découvert qu'une famille me cherchait".

Il a vécu sous le nom d'Alejandro Rei jusqu'au procès de son père adoptif en 2008, un "jugement libérateur". "C'est comme si on m'avait enlevé un bandage des yeux, j'ai pu me connaître".

Ironie de l'histoire, il a grandi dans le même quartier de Buenos Aires que sa famille d'origine.

Dans sa jeunesse, il avait pris l'habitude de prendre un café au lait dans un bar près de chez lui avant d'aller en classe. "Quand je l'ai raconté à mon oncle (biologique), il est resté stupéfait, c'était l'endroit où mes parents s'étaient connus et où ils se retrouvaient pour se déconnecter de leur vie militante".

ls/ap/ka/jr

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