"Mon fils a disparu", lâche Olga, les larmes aux yeux. Comme elle, de nombreux habitants de l'Est de l'Ukraine, plongé dans le chaos, ont perdu tout contact avec leurs proches et craignent le pire.
Chaque jour à 18 heures, une petite foule se rassemble devant les locaux des services de sécurité de Donetsk, principal fief des insurgés dans la région. Devant le bâtiment, protégé par des sacs de sable, des représentants séparatistes sortent lire la liste des noms de ceux qu'ils détiennent.
La plupart des personnes présentes repartent bredouilles, sans aucune idée de ce qu'ont pu devenir leurs proches vu l'anarchie qui règne dans cette partie de l'ex-république soviétique, en proie à des combats de plus en plus intenses entre forces ukrainiennes et insurgés.
"Nous cherchons notre fils depuis le 18 juillet", confie Olga. Le jeune homme de 28 ans a disparu après avoir quitté son travail.
"Il n'était pas impliqué en politique. Il ne pouvait pas être ivre, avoir insulté quelqu'un, être drogué, ou avoir une arme", assure cette femme dans une robe d'été noire et blanche. "Son téléphone est éteint, nous ne savons rien, nous cherchons partout".
A ses côté, son mari tient un sac plastique plein d'affiches portant la description du jeune homme.
Les séparatistes ont imposé leurs propres lois et arrêtent ceux qui violent le couvre-feu en vigueur après 23H00 ou sont contrôlés en état d'ébriété. L'ONU a dénoncé récemment "un règne de la peur et de la terreur", avec "des enlèvements, des détentions, des cas de torture, des exécutions, qui sont utilisés pour intimider la population".
Devant les services de sécurité de Donetsk, un homme, qui tient à rester anonyme, explique rechercher son frère de 46 ans, disparu depuis le 23 juin.
"Ils ne me disent rien, je ne sais pas où il est. Je ne sais pas où il est, ni pourquoi ils l'ont pris", soupire-t-il. "Je viens tous les jours. Peut-être qu'il sera sur la liste".
A ses côtés, Olexandre Pervouchine, 56 ans, cherche Maxime, son fils de 29 ans, disparu le 12 juillet. "Je suis allé au parquet et on m'a dit de venir ici", lâche-t-il. "On ne sait plus à qui s'adresser. Il n'y a plus de police."
Lorsqu'un nom est reconnu, un rebelle en tenue de camouflage donne quelques bribes d'informations sur les faits reprochés. Certains ont été arrêtés sans papiers après le couvre-feu. D'autres pour consommation ou vente d'alcool ou de drogue.
"Vente" de drogues, indique le séparatiste à une femme venue se renseigner. "C'est grave, très grave", poursuit-il.
"Il est malade, il est asthmatique", tente-t-elle de plaider. "Il n'y aura aucune drogue dans cette ville", réplique son interlocuteur.
Les rebelles, de leur côté, ont lancé une émission consacrée aux disparus sur leur chaîne de télévision. Selon l'une des créatrices du programme, Aleftina Mikhaïlovna, les personnes recherchées sont souvent "des alcooliques, des trafiquants de drogue et des sans domicile fixe", ainsi que des victimes de crimes.
Sous le couvert de l'anonymat, un policier raconte avoir été arrêté en juillet dans les locaux des services de sécurité d'une ville proche de Donetsk.
Détenu pendant onze jours par les rebelles, cet homme costaud d'une vingtaine d'années a été envoyé sur le front pour construire des barricades et creuser des tranchées. Il dit avoir vu des jeunes femmes et des enfants parmi les détenus.
"Ils prononcent des peines: un trafiquant de drogues peut écoper de 30 jours de travaux physiques, comme construire des barricades ou creuser des tranchées", explique-t-il. "Les personnes en état d'ébriété sont en général détenues pendant trois à cinq jours".
Le policier raconte que sa cellule, sans fenêtre, contenait jusqu'à 18 prisonniers qui dormaient sur des palettes: "Les hommes fumaient, l'air était irrespirable, et on ne pouvait pas se laver".
A-t-il pu accéder à un avocat? La question le fait sourire. "C'est la guerre. Je ne suis sorti que grâce à des amis".
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