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Le Belge Fabrice Murgia met en scène notre solitude d'hommes connectés

Le Belge Fabrice Murgia met en scène notre solitude d'hommes connectés

Le jeune metteur en scène belge Fabrice Murgia met en scène au festival d'Avignon (France) la solitude de l'homme connecté à travers quatre portraits, dont un de ces "hikikomori", comme on appelle au Japon les jeunes retranchés derrière leurs écrans.

Le plateau, plongé dans le noir, est encadré d'un mince filet lumineux, comme l'écran de l'ordinateur. Lorsque les personnages émergent de l'obscurité, l'impression de virtuel est encore renforcée par les couleurs tranchées, le sol en damier noir et blanc, les portes à la Magritte, ouvrant sur on ne sait quelle réalité invisible.

La pièce, qui s'intitule "Notre peur de n'être", jeu de mot transparent avec "la peur de naître", est extrêmement maîtrisée, avec l'intervention de la vidéo, "live" ou enregistrée, et distille une angoisse glaçante.

L'angoisse de l'homme abandonné par sa femme au bout de 22 ans, qui ne trouve de réconfort que dans des conversations téléphoniques avec une voix virtuelle.

L'angoisse de Gina, qui a trimé toute sa vie en rêvant pour son fils d'un avenir "d'avocat ou de notaire", alors que ce dernier s'est retranché du monde depuis dix ans pour vivre en autarcie avec son ordinateur dans sa chambre.

L'angoisse de Sarah, 20 ans, qui découvre brutalement qu'elle peut mourir le jour où un employé de banque lui propose une assurance vie. Sarah, la parfaite étudiante en communication craque, pleure à tout instant, enregistre ses moindres faits et gestes sur un dictaphone, comme pour s'assurer qu'elle est bien vivante.

"J'ai voulu parler d'êtres qui sont très connectés entre eux, mais aussi très seuls", explique Fabrice Murgia. "Le monde d'images dans quel on vit et dans lequel moi aussi j'ai grandi enfant a changé notre rapport à la représentation et aux autres", ajoute-t-il.

"Je me souviens du dernier concert d'Alain Bashung", raconte-t-il. "Tout le monde savait qu'il allait mourir, ce grand monsieur, et qu'il chantait certainement pour la dernière fois, et je n'ai pas réussi à le voir, bien qu'étant là, parce qu'il y avait trop de mains qui le filmaient. Je n'ai pu voir que par l'intermédiaire de téléphones portables, et c'était très frustrant, parce que finalement je ne l'ai pas vu et je n'ai pas partagé ce moment".

Le jeune metteur en scène belge de 30 ans a déjà six pièces à son actif, dont le fil rouge est précisément la solitude.

"Pour moi, l'enjeu principal de notre époque c'est de reconstruire un collectif. On arrive au bout d'un siècle, on en commence un autre, on est a priori libres en Occident, c'est ce qu'on tente de nous faire croire, on est des individus, et finalement on est très tournés sur soi et on est abandonnés. On est seuls, très seuls."

Tout n'est pas désespéré pourtant dans "Notre peur de n'être". Fabrice Murgia a nourri sa réflexion de la lecture de l'essai plutôt optimiste de Michel Serres "Petite Poucette", où le philosophe espère que les jeunes vont "réinventer le monde", grâce à la troisième révolution, après l'écriture et l'imprimerie, celle des nouvelles technologies.

Dans le troisième chapitre de la pièce, "la nécessité d'un monde", le jeune geek achète une caméra et commence à filmer autour de lui. Il se met à rêver d'un monde utopique, où on aurait le temps de faire "pause", de penser, d'exister pour soi.

La mise en scène futuriste de la pièce, son regard critique mais aussi son humour (le "choc" de l'assurance vie, un entretien d'embauche cocasse, l'effondrement de la "mamma" du geek dans la débâcle d'un plat de spaghetti renversé) ont manifestement plu aux jeunes, très nombreux dans la salle, preuve que le renouvellement du théâtre est en marche.

"Notre peur de n'être", jusqu'au 27 à Avignon puis au Théâtre National de Bruxelles (7-16 octobre) et jusqu'en mars en France et en Belgique.

mpf/dab/kat/jh

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