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La Turquie tempère son opposition à un Etat indépendant pour les Kurdes irakiens

La Turquie tempère son opposition à un Etat indépendant pour les Kurdes irakiens

La Turquie, après avoir engagé un processus de paix avec les Kurdes sur son propre territoire, se résigne désormais à la création d'un Etat kurde indépendant chez son voisin irakien ravagé par la guerre.

L'idée d'un Etat kurde indépendant était auparavant dénoncée par Ankara qui craignait qu'elle ne débouche sur un Kurdistan élargi englobant ses propres régions dont la population est en majorité kurde.

Mais la Turquie a progressivement changé de position pour nouer une nouvelle alliance avec les Kurdes irakiens, afin de lutter contre la menace jihadiste croissante à ses portes et de défendre ses intérêts économiques et stratégiques au Kurdistan irakien.

Rompant avec ses prédécesseurs qui s'en remettaient à l'armée alors toute puissante, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a engagé un processus de paix avec les rebelles kurdes de Turquie et a promu des réformes afin d'atténuer les discriminations contre les Kurdes.

M. Erdogan, candidat à l'élection présidentielle du 10 août, espère aussi rallier des soutiens au sein de la minorité kurde forte de quelque 15 millions d'habitants, dont la plupart viennent des régions pauvres et déshéritées du Sud-Est.

"Soutenir l'intégrité territoriale de l'Irak ne sert plus les intérêts de la Turquie. La Turquie sait que l'Irak ne peut plus rester uni", a souligné Bilgay Duman, un expert de l'Irak au Centre d'Etudes stratégiques sur le Moyen-Orient dont le siège est à Ankara.

"Elle n'a pas de meilleur allié dans la région que les Kurdes... Un Etat kurde indépendant constituerait une zone tampon pour contrer la menace islamiste", a-t-il déclaré à l'AFP.

Les craintes d'Ankara se sont fortement accrûes lorsque les jihadistes sunnites se sont emparés de larges pans de territoire dans le nord de l'Irak et ont proclamé un "califat" chevauchant l'Irak et la Syrie, deux pays voisins de la Turquie.

Profitant de l'offensive des jihadistes, le président du Kurdistan irakien Massoud Barzani a demandé au Parlement de la région autonome d'organiser un référendum d'indépendance, ouvrant ainsi la voie à un éclatement de l'Irak.

Selon Bilgay Duman, la Turquie ne craint plus que les velléités d'indépendance des Kurdes irakiens débouchent sur la création d'un grand Kurdistan, "parce qu'il n'y a pas d'unité entre les Kurdes de la région".

Des déclarations récentes d'Huseyin Celik, porte-parole du Parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir, au quotidien Financial Times, laissent penser qu'Ankara tolérerait un Etat kurde indépendant dans le nord de l'Irak.

De souche indo-européenne, les Kurdes du Moyen-Orient sont en majorité musulmans sunnites et leur nombre est évalué entre 25 et 35 millions. Leur langue et leur culture les différencient des Turcs, des Persans et des Arabes.

Ils sont de ce fait ressentis comme une menace par les quatre principaux pays où ils habitent, l'Iran, la Syrie, l'Irak et la Turquie.

Mais les Kurdes turcs ont commencé à se voir accorder des droits démocratiques depuis l'arrivée au pouvoir d'Erdogan il y a onze ans. L'homme fort de la Turquie a en outre invité le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) à engager des pourparlers pour mettre fin à un conflit qui a fait quelque 45.000 morts.

Le gouvernement a proposé la semaine dernière des réformes pour remettre sur les rails les pourparlers bloqués avec le PKK. Ce dernier avait pris les armes en 1984 dans le but de créer un Etat kurde indépendant, mais a depuis revu à la baisse ses ambitions en réclamant une plus grande autonomie pour les Kurdes.

"La Turquie est aussi très différente de l'Irak, ne serait-ce que parce que l'AKP au pouvoir contrôle près de la moitié des voix des représentants kurdes, y compris dans le Sud-Est à majorité kurde, et parce que près de la moitié des Kurdes de Turquie probablement vivent dans l'ouest du pays", a estimé Hugh Pope de l'organisation de prévention des conflits International Crisis Group.

"Il y a toutes les chances pour qu'un programme démocratique judicieux accordant une certaine décentralisation ordonnée à l'ensemble du pays permette de maintenir l'intégrité et la prospérité de la Turquie", ajoute-t-il.

La Turquie a également établi de solides relations commerciales avec le Kurdistan irakien depuis quelques années, une raison supplémentaire pour laquelle Ankara ne peut se permettre d'être aussi hostile que par le passé à la création d'un Etat kurde indépendant en Irak, selon les experts.

En mai, la Turquie a commencé à exporter du pétrole du Kurdistan irakien vers les marchés internationaux, s'attirant les foudres du gouvernement central à Bagdad.

"Erdogan ne peut pas se permettre de se mettre à dos les Kurdes dans le nord de l'Irak. Parce qu'il a besoin d'eux pour leur pétrole et les biens qu'il leur vend", estime M. Duman.

L'Irak est également devenu le deuxième marché d'exportation pour la Turquie, et représente 8% des ventes totales turques.

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