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Chine: derrière la disgrâce d'un "tigre" du Parti, tortures et soif de vengeance

Chine: derrière la disgrâce d'un "tigre" du Parti, tortures et soif de vengeance

Quand le cadre chinois Zhou Jianhua a refusé d'admettre devant les enquêteurs du Parti communiste (PCC) qu'il avait reçu d'énormes pots-de-vin, il a été battu et torturé jusqu'à ce qu'il livre les aveux attendus. Il s'estime victime d'une vengeance politique.

Alors que la vaste campagne anticorruption initiée par le président Xi Jinping continue de battre son plein, visant nombre d'officiels de haut rang, le récit de M. Zhou --que l'AFP a pu obtenir-- offre un rare témoignage sur les coulisses de sa mise en oeuvre.

C'est la puissante Commission centrale d'inspection de la discipline, le gendarme du PCC aux moyens d'actions étendus, qui mène des investigations sur les cadres soupçonnés de corruption: elle peut les placer en détention, les interroger en dehors de tout cadre judiciaire, avant de décider leur exclusion du Parti.

Ce n'est qu'ensuite que les cadres dûment limogés sont remis aux mains de la justice, qui les condamne habituellement à de lourdes peines.

Pour les avocats de Zhou, le calvaire qu'il a subi révèle les abus de ce système opaque de "shuanggui" (ou "double règle" désignant une procédure permettant de détenir un membre du Parti au secret jusqu'à six mois), -- un système parfois instrumentalisé dans des luttes de pouvoir.

Au moins 15 officiels sont décédés depuis 2007 suite au traitement qu'ils ont subi lors d'une procédure de "shuanggui", selon des médias chinois et étrangers.

Zhou Jianhua se dit persuadé que sa disgrâce, début 2012, n'a été qu'une vengeance de la part de Su Rong, patron du Parti dans la province du Jiangxi (centre).

Depuis, ce "tigre" du Parti a lui-même connu une chute retentissante, et l'annonce d'une enquête à son encontre le mois dernier a mis en lumière les déboires de M. Zhou.

Disposant d'un train de vie confortable en dépit de son salaire officiellement modeste comme président de l'assemblée locale de la ville de Xinyu, Zhou redoutait, courant 2011, d'être l'objet d'une enquête.

Il décide alors de prendre les devants, et dénonce aux autorités anticorruption du Parti des opérations foncières illégales ayant profité à l'épouse de Su Rong, patron de la province.

Une décision dangereuse: quelques semaines plus tard, plusieurs collègues de Zhou sont interpellés par la police, et lui-même est placé en détention en janvier 2012 dans un centre où il est privé d'avocat.

"Il a clairement été visé en raison de sa dénonciation de l'épouse de Su, il a fait l'objet d'une vengeance", estime Zhou Ze, un éminent juriste défenseur des droits de l'homme, devenu l'avocat du bureaucrate déchu.

Zhou Jianhua a admis devant les enquêteurs avoir accepté environ 600.000 yuans (71.300 euros) de pots-de-vins via les traditionnelles "enveloppes rouges" d'argent liquide, que la plupart des cadres locaux reçoivent à chaque Nouvel an chinois de la part d'administrés soucieux de s'attirer leurs bonnes grâces.

En revanche, lorsque les enquêteurs l'ont accusé d'avoir touché frauduleusement plus de 10 millions de yuans, il a farouchement nié; c'est alors que les violences physiques ont débuté.

"J'ai été battu, puis emmené aux cabinets, ils m'ont plongé la tête dans la cuvette, me forçant à avaler l'eau des toilettes", a-t-il déclaré dans un entretien enregistré en mars dans son centre de détention, et dont l'authenticité a été confirmée par son avocat.

"Je savais que si je ne passais pas aux aveux, ils allaient s'en prendre à ma femme", a-t-il ajouté. Parallèlement, des "preuves" contre Zhou étaient arrachées à ses proches collaborateurs.

Finalement, il cède: "J'étais en sanglots, car je savais que la confession que j'écrivais allait avoir de sérieuses répercussions".

Reconnu coupable lors de son procès (comme 99,9% des accusés présentés à la justice chinoise), il a été condamné en janvier à une peine de mort avec sursis --sentence habituellement commuée en prison à vie.

Mais lors de sa détention, Zhou détaillait les turpitudes de Su Rong au dos de paquets de cigarette, qu'il confiait ensuite à son ex-épouse et ses quelques visiteurs --lesquels les transmettaient à leur tour à des officiels pékinois, certains hauts placés.

En juin, la Commission de discipline a finalement annoncé l'ouverture d'une enquête visant Su Rong, limogé de son poste de vice-président de la Conférence consultative du peuple chinois, un organe de débats --ce qui en faisait alors le plus haut responsable du Parti à tomber pour corruption dans la campagne initiée par Xi.

Quant à Zhou Jianhua, son procès en appel s'est déroulé en mai, mais son avocat Zhou Ze, à qui les forces de l'ordre ont interdit l'accès au tribunal, attend le verdict avec pessimisme: "Ce type d'affaire est traité de façon politique", a-t-il déploré.

tjh-jug/seb/pt

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