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Turquie: prison à vie pour les deux derniers auteurs du coup d'Etat militaire de 1980

Turquie: prison à vie pour les deux derniers auteurs du coup d'Etat militaire de 1980

La justice turque a condamné mercredi à la prison à vie deux ex-généraux qui avaient participé au coup d'État militaire sanglant de 1980, nouvel épisode de la lutte de pouvoir qui oppose l'armée au gouvernement islamo-conservateur.

Au terme de deux ans d'un procès historique, la Cour criminelle d'Ankara a sans surprise suivi les réquisitions du parquet et prononcé la peine maximale contre l'ex-général Kenan Evren, 96 ans, chef de la junte et ancien président de la République de Turquie, et contre l'ancien commandant de l'armée de l'air Tahsin Sahinkaya, 89 ans.

Le verdict a été salué par une salve d'applaudissements du public, qui a scandé "ce n'est qu'un début, la lutte continuera, les putschistes vont rendre des comptes!"

En ouvrant l'audience, le procureur a une dernière fois dénoncé le rôle joué par les deux accusés, coupables à ses yeux d'avoir favorisé "un climat propice à une intervention militaire par une série d'actions illégales" et "renversé l'ordre constitutionnel".

L'avocat des deux officiers, Bülent Acar, a dans la foulée dénoncé ces charges. "Cette cour n'est pas compétente pour juger les suspects", a-t-il également plaidé.

Interrogés une dernière fois par le juge, MM. Evren et Sahinkaya, qui s'exprimaient depuis leur lit d'hôpital par vidéoconférence en raison de leur état de santé, ont répondu qu'ils n'avaient "rien à ajouter à la défense de leur avocat".

Les deux hommes, que la Cour a dégradé au rang de simples soldats, sont apparus très affaiblis tout au long d'une audience qui a duré plus de trois heures.

Pour ces mêmes motifs, les ex-généraux devraient être dispensés d'effectuer leur peine, une fois leur condamnation définitivement confirmée s'ils décident de faire appel.

En novembre 2012, ils avaient assumé sans fard leur intervention.

"Je n'ai pas de remords (...) Nous avons fait ce qui était juste à l'époque. Si c'était à refaire aujourd'hui, je ferais la même chose" pour mettre un terme à l'instabilité politique qui régnait dans les années 1970 en Turquie, s'était défendu l'ex-général Evren.

"Les forces armées turques ont accompli le 12 septembre 1980 leur devoir envers le peuple. Nous avons fait la meilleure chose possible à l'époque", avait renchéri son ex-compagnon d'armes.

L'armée turque, qui s'est longtemps considérée comme la gardienne de l'héritage laïque de la République de Turquie fondée en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, a exercée une véritable tutelle sur la vie politique du pays et mené trois coups d'Etat depuis 1960.

Son intervention a également provoqué la démission du premier gouvernement islamiste au pouvoir en Turquie, en 1997.

A l'issue du putsch de 1980, cinquante personnes ont été exécutées, 600.000 arrêtées, des dizaines ont succombé à la torture et de nombreuses autres ont disparu.

"On ne pourra jamais réparer les souffrances provoquées par ce coup mais c'est quand même un début", s'est réjoui après le verdict Nevzat Er, un enseignant d'une cinquantaine d'années torturé à l'époque. "J'ai perdu ma santé et mon travail, je ne me suis jamais totalement remis de ces choses", a-t-il ajouté à l'AFP.

Le procès de MM. Evren et Sahinkaya, le premier intenté en Turquie aux responsables d'un coup d'Etat, s'inscrit dans la lutte de pouvoir que se livrent l'armée et le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur), au pouvoir depuis 2002.

Dans deux autres affaires retentissantes, la justice a prononcé en 2012 et 2013 de lourdes peines de prison contre des centaines d'officiers accusés d'avoir tenté de renverser l'actuel gouvernement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan.

Mais le régime a ouvert en décembre la voie à une révision de ces jugements considérés comme partiaux, qui ont fait l'objet de nombreuses critiques.

Inattendu, ce revirement est intervenu alors que le gouvernement était empêtré dans un vaste scandale de corruption dont il soupçonne ses ex-alliés de la confrérie du prédicateur musulman Fethullah Gülen d'être à l'origine. Certains des magistrats en charge des dossiers visant l'armée sont réputés proches de ce mouvement.

Hasard du calendrier judiciaire, la Cour constitutionnelle a remis en cause mercredi les preuves retenues contre 230 soldats condamnés en 2012 et estimé que leurs droits avaient été bafoués. Cet arrêt devrait permettre un nouveau procès.

BA/pa/vog

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