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BNP Paribas: marge de manoeuvre étroite pour Paris face à la justice américaine

BNP Paribas: marge de manoeuvre étroite pour Paris face à la justice américaine

La France intervient au plus haut niveau de l'Etat pour tenter de réduire l'amende record qui pourrait être infligée à BNP Paribas, mais sa marge de manoeuvre est étroite face à une justice américaine qui défend farouchement ses prérogatives.

"Il est hautement improbable que l'intervention du président français ait un quelconque effet sur l'issue d'une enquête pénale aux Etats-Unis", a déclaré à l'AFP David Uhlmann, un ancien responsable au ministère de la Justice américaine.

"Aux Etats-Unis, l'intrusion des dirigeants politiques dans la sphère judiciaire est déplacée", observe ce professeur de l'Université du Michigan.

François Hollande est monté au créneau mercredi et s'apprête à intervenir directement auprès de Barack Obama, jeudi soir, lors d'un dîner dans un restaurant parisien.

L'affaire strictement judiciaire atteint le terrain diplomatique: la puissante banque française est menacée par la justice américaine d'une amende record pour avoir contourné l'embargo américain visant le Soudan, l'Iran ou Cuba.

A dix milliards de dollars, selon la presse, la sanction financière, si son montant est confirmé, prend un "caractère disproportionné", a déjà dénoncé le président français. Son chef de la diplomatie Laurent Fabius a assuré que la France défendrait bec et ongles sa première banque en capitalisation, évoquant même un traité de libre-échange transatlantique en cours de négociation.

"La situation est très inhabituelle", commente l'ex-procureur fédéral Samuel Buell, "il est très rare de voir un gouvernement critiquer un autre gouvernement pour une action de justice contre une entreprise".

"Ironie du sort", poursuit ce professeur à la Duke University, les Français étaient les premiers à "critiquer le gouvernement américain pour son manque de sévérité envers les banques américaines" après la crise financière.

En condamnant Credit Suisse, fin mai, à payer une amende de 2,6 milliards de dollars dans une affaire d'évasion fiscale, le ministre de la Justice Eric Holder a affirmé qu'aucune banque n'était "au-dessus des lois" quelle que soit sa taille, se félicitant de voir "la plus grosse banque plaider coupable en 20 ans".

Ce même précepte guide le patron de la justice américaine pour arracher un plaider coupable de BNP Paribas, souligne Cornelius Hurley, professeur de droit à la Boston University.

L'enquête initiée par le régulateur bancaire de New York est entre les mains du procureur fédéral de New York Cyrus Vance, qui était également aux commandes dans l'affaire DSK.

"L'administration Obama se trouve dans une situation difficile, si elle change sa position (pour BNP), elle donnera l'impression de faire machine arrière", dit-il à l'AFP.

"Le ministre de la Justice honore sa promesse avec des banques étrangères plutôt qu'avec les banques américaines", ajoute-t-il, "et le président Hollande ne manquera certainement pas de poser au président Obama la question légitime de savoir s'il n'y a pas deux poids, deux mesures".

"Quand des poursuites judiciaires ont des implications géopolitiques et économiques, il est tout à fait justifié qu'un chef de l'Etat intervienne", renchérit l'avocat Jacob Frenkel. "Si le gouvernement français était sur le point de démanteler une importante institution américaine, vous pouvez être certain que le gouvernement américain interviendrait".

Pour cet ancien responsable du DOJ, "il y a beaucoup de ressentiment dans le monde contre les Etats-Unis qui s'érigent en shérif international".

"Exiger des milliards et des milliards de dollars d'amende d'une institution financière majeure envoie un message terrible au monde sur la manière dont les institutions de régulation américaines sont devenues hostiles et inhospitalières", fustige-t-il, comme si "le paquet de bienvenue contenait une paire de menottes".

Depuis une vingtaine d'années, la plupart des poursuites pénales visant des entreprises ou des banques se sont soldées par un accord à l'amiable résultat de négociations parfois ardues. Mais "la politique ne fait pas partie du processus", explique David Uhlman.

"Nous sommes fiers de l'indépendance de nos institutions de régulation bancaire et de nos procureurs", renchérit Cornelius Hurley. "Ce serait presque choquant et tout à fait inhabituel que le président Obama décroche son téléphone pour tenter d'influencer Eric Holder".

Si François Hollande se défend pour l'instant d'intervenir dans le processus judiciaire, le secrétaire d'Etat américain John Kerry a plaidé mercredi pour une solution "juste" et "adéquate".

Si les négociations achoppent, alors ce sera le procès. "Avec d'énormes conséquences désastreuses pour la réputation" de BNP Paribas, ajoute M. Hurley.

chv/rap/mf

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