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Karachi retient son souffle après l'arrestation de son "parrain"

Karachi retient son souffle après l'arrestation de son "parrain"

De Londres, Altaf Hussain tirait depuis deux décennies les ficelles de Karachi, poumon économique du Pakistan déchiré par une guerre des gangs. Mais au lendemain son arrestation, la mégalopole craint de s'enliser dans une crise sanglante.

Une bombe: C'est l'effet qu'a eu mardi l'annonce de l'arrestation par la police londonienne de l'homme le plus influent de ce port grouillant de 20 millions d'habitants bordé par la mer d'Arabie.

D'un seul coup, les habitants se sont précipités vers les pompes à essence et les épiceries, de peur que la ville ne soit paralysée pendant des jours. Des bus ont été incendiés et le consulat britannique aussitôt fermé.

Et des fidèles de ce chef aussi controversé que charismatique se sont même mutilés de colère, comme Kashif Ahmed Shaikh, 32 ans, qui s'est aussitôt lacéré un bras à coups de lames de rasoir.

"Il a tant fait pour nous. Ces cicatrices sont une façon d'exprimer humblement notre amour pour lui", dit-il à l'AFP à propos d'un homme souvent comparé à un "parrain" et aujourd'hui visé par la police britannique pour des détournements de fonds présumés.

Mosaïque où s'entrechoquent les différents peuples qui composent le Pakistan, Karachi est minée depuis longtemps par les violences.

Ici, la politique se joue l'arme au poing au nom des grands partis locaux, qui contrôlent chacun des pans de la ville via des groupes armés impliqués dans différentes formes de trafics.

Et le Muttahida Qaumi Movement (MQM) d'Altaf Hussain est le plus puissant des partis de Karachi. Un phénomène d'autant plus impressionnant que cette main invisible est basée à plus de 6.000 km de là, dans une banlieue cossue de Londres.

Né en 1984 au sein des classe moyennes et défavorisées et du mouvement étudiant et dans un climat de violence, le MQM se veut avant tout le porte-voix des "Mohajirs" ou "émigrés", ces musulmans ayant fui l'Inde lors de la partition en 1947.

Ces derniers se concentrent dans le sud du Pakistan, à Hyderabad et Karachi, où leur arrivée massive a transformé l'équilibre démographique de la ville. La naissance du MQM, elle, a rebattu les cartes de la politique locale.

Fin 1991, Altaf Hussain quitte le pays, où il craint pour sa vie, afin de s'établir à Londres d'où il s'adresse à des milliers de partisans au Pakistan par vidéoconférence ou simplement par téléphone.

Ses discours enflammés sur l'identité Mohajir, flirtant parfois franchement avec les incitations à la haine, suscitent d'autant plus la controverse que son parti est régulièrement accusé d'éliminer des militants de formations rivales.

Après son arrestation à Londres, les caciques du MQM ont appelé au calme et à un sit-in pacifique jusqu'à la libération de leur chef. Malgré des scènes éparses de violence, le message a passé. Mais pour combien de temps?

"De véritables problèmes vont apparaître s'il est éliminé du paysage politique pakistanais pour une raison ou une autre", estime Tauseef Ahmed Khan, professeur l'université Urdu de Karachi. "Sans Altaf Hussain, le parti sombrera dans l'anarchie et le désordre", dit-il.

"Altaf Hussain est la figure paternelle, il ne peut être remplacé", clame d'ailleurs Farooq Sattar, chef du MQM au Pakistan.

Si le parti est télécommandé à distance depuis deux décennies, ces dirigeants au Pakistan risquent de se retrouver sur la ligne de front au cours des prochaines semaines, où ils devront tenter de maintenir leur contrôle sur les dirigeants de leurs bastions de Karachi et sur leur base en général.

"En ont-il la capacité? C'est toute la question", note Laurent Gayer, chercheur au Ceri qui publie d'ailleurs cette semaine à Londres un livre sur Karachi.

"Un de mes amis proches à Karachi m'avait dit il y a quelques années : le déclin du MQM sera encore plus violent que son émergence. Est-ce qu'on est arrivé à ce moment là, je ne sais pas", dit-il à l'AFP.

Certes, le MQM a transformé la métropole du Pakistan, mais celle-ci a aussi changé depuis l'exil d'Altaf Hussain avec l'arrivée massive de nouveaux "émigrés", venus cette fois des zones talibanes dans le nord-ouest, près de l'Afghanistan. Une menace pour l'hégémonie du MQM, qui se pose depuis en rempart en dénonçant une "talibanisation" de la ville.

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