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Tiananmen, une amnésie d'Etat

Tiananmen, une amnésie d'Etat

En un quart de siècle, le Parti communiste chinois (PCC) est parvenu à instaurer un silence d'Etat sur la répression meurtrière de la place Tiananmen, objet d'une censure drastique et dont une partie de la jeunesse ignore jusqu'à l'existence.

Un tiers de la population chinoise a moins de 25 ans, étant né après l'écrasement du "printemps de Pékin" le 4 juin 1989. Et les aînés rechignent à parler d'un sujet devenu tabou.

"Je ne sais pas de quoi vous parlez", confie, un peu embarrassée, une étudiante de vingt ans, croisée aux abords de l'Université de Pékin.

Yang, 27 ans, employé d'une agence publicitaire, reconnaît être "en gros" au courant. Mais un jour où il y a fait allusion devant des amis, l'un d'eux l'a regardée, interloqué: "Il n'en avait absolument pas la moindre idée."

"Le contrôle de l'éducation et le vaste système de censure des médias ont si bien réussi à éliminer toute référence à 1989 que beaucoup de jeunes ne savent pas ce qui s'est passé, ou alors n'en ont qu'une idée très floue", commente Jeremy Goldkorn, fondateur du site Danwei et expert de l'internet chinois.

"Si l'on ajoute une certaine réticence culturelle à évoquer les traumatismes du passé, il faudrait à ces jeunes un degré de curiosité inhabituel pour chercher des informations", ajoute-t-il.

De fait, les dirigeants communistes ont la hantise de voir renaître les revendications pro-démocratiques portées par les manifestants de 1989 --auxquels s'étaient joints des pans entiers du PCC.

"Il y a une volonté délibérée d'oblitérer l'existence même des événements. On n'en parle plus, on joue la politique de l'amnésie", a indiqué à l'AFP, sous couvert d'anonymat, un universitaire basé à Pékin.

A l'instar des journaux et de la télévision, la censure sur internet est draconienne: dans l'encyclopédie en ligne de Baidu --sorte de Wikipedia local--, aucune page n'est dédiée à l'année 1989.

Sur la plateforme de microblogs Weibo --le "Twitter chinois"--, les ciseaux balayent large: sont interdits des dizaines de mots pouvant évoquer la répression de 1989, mais aussi les chiffres 6-4 correspondant à la date du 4 juin.

A telle enseigne que c'est parfois l'ignorance même des jeunes qui vient enrayer les rouages de la censure.

En 2007, le quotidien Chengdu Evening News avait ainsi publié une petite annonce "rendant hommage aux mères des victimes du 4 juin". Une bévue due à la jeune éditrice de la rubrique: fraîchement diplômée, elle ne savait pas à quoi la date faisait référence, selon la presse de Hong Kong.

L'obsession de l'interdit va loin: en juin 2012, la Bourse de Shanghaï avait perdu 64,89 points --autrement dit "juin/4/1989"-- ; la coïncidence avait valu aux mots "indice de Shanghai" d'être bannis des microblogs.

Certains internautes ingénieux mentionnent le "35 mai" ou utilisent des caractères homophones des mots proscrits, mais même ces termes nouveaux finissent par grossir la liste noire des censeurs.

Ces codes sont "un moyen de braver les autorités, une commémoration à la manière d'une bougie: peu en connaissent la signification, mais cela montre que l'on sait, qu'on veut se souvenir,", souligne Jason Ng, universitaire américain auteur de "Blocked on Weibo".

Métaphore saisissante, "Beijing Coma" --roman de l'écrivain Ma Jian (2008) non autorisé en Chine-- décrit un jeune manifestant frappé par une balle perdue place Tiananmen: paralysé, muet et aveugle, il est condamné à flotter dans un coma sans fin.

Certains se battent contre cet oubli teinté d'indifférence, à l'image de Zhang Xianling, une "mère de Tiananmen" dont le fils de 19 ans a été abattu en 1989.

"Beaucoup de jeunes ne veulent pas en savoir davantage car ils sont trop occupés, ils veulent travailler, gagner de l'argent. Mais pareille tragédie ne peut être dissimulée pour l'éternité. La vérité finira par se savoir", a-t-elle déclaré à l'AFP.

De son côté, Cui Weiping, professeur de cinéma à Pékin, a assisté début mai à un "séminaire de mémoire" dans un appartement, auquel participait le célèbre avocat Pu Zhiqiang. Cette modeste réunion privée a provoqué un déchaînement policier, avec l'arrestation de Pu et d'autres intellectuels présents.

"Se souvenir est une obligation morale", a confié Mme Cui à l'AFP. "Se résigner à l'oubli, ce serait trahir toutes les personnes tuées ce jour-là".

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