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Il y a un an en Turquie, le "rêve" inachevé de Melissa Kurtcan

Il y a un an en Turquie, le "rêve" inachevé de Melissa Kurtcan

Bien sûr, il y a eu les nausées causées par les gaz lacrymogènes, le sang des blessés et la peur de la police. Mais, des quinze jours d'émeutes qui ont embrasé la Turquie il y a un an, Melissa Kurtcan veut d'abord garder le souvenir d'une enivrante parenthèse de liberté.

"Gezi était un territoire sans Etat, ni police", se rappelle la jeune femme, "on était tellement contents d'être là, de pouvoir exercer tous nos droits, c'était un rêve".

Le 27 mai 2013, cette étudiante en philosophie a posé son sac sur une pelouse du parc Gezi par conviction. Il n'est pas encore question de contester le règne du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Mais juste d'empêcher la destruction d'une oasis de verdure noyée au milieu du béton de la place Taksim d'Istanbul.

"C'était là", dit-elle en pointant du doigt un petit carré d'herbe et de fleurs. "On avait installé nos tentes et, à côté, planté un petit potager. C'était pour leur dire +OK, vous voulez nous prendre le parc ? On va donc le rendre à la nature+".

"On", c'est d'abord une poignée de militants, quelques dizaines au plus. Des "écolos", bien décidés à barrer la route aux pelleteuses de la municipalité et à s'opposer à son projet de faire de Taksim "un nouveau temple de la consommation".

Et puis la mobilisation a grandi. Au fil des jours, ils sont des centaines, puis des milliers. Dans leur ligne de mire, la mairie tenue par le Parti de la justice et du développement (AKP), le tout-béton, la spéculation immobilière.

"Le jeudi soir (30 mai), je suis rentrée chez moi pour préparer des examens que je devais passer le lendemain", raconte Melissa. "Mais le matin, j'ai vu aux infos que le parc était attaqué par la police (...) alors je me suis dit +il faut y aller+".

Avec elle, des milliers de personnes affluent de toute la ville pour prêter main forte aux manifestants qui affrontent les forces de l'ordre. Autour de Taksim noyée sous des nuages de gaz, la bataille fait rage. Jusqu'à ce que la police batte en retraite le 1er juin, abandonnant le parc et la place aux contestataires.

Dès lors, le combat prend une autre dimension. Pendant deux semaines, la rue va dénoncer la répression policière et instruire le procès de la dérive "autoritaire" et "islamiste" du régime de M. Erdogan.

"Au début, c'était un combat strictement écologiste. Et puis nous avons été rejoints par tous ceux qui s'opposaient au gouvernement", se souvient l'étudiante. "C'était spontané, imprévisible, inattendu. Ce sont les gens +normaux+ qui se sont mobilisés, pas seulement les activistes professionnels".

Sur le terrain, la résistance s'organise. Des milliers de personnes ont pris possession de Gezi dans une joyeuse pagaille. Avec ses barricades, sa bibliothèque ou ses cours de yoga, le jardin public prend des allures de "Woodstock sur Bosphore".

"Rien n'était organisé, chacun était en charge de tout à la fois. On ramassait les ordures, on faisait la cuisine, on s'occupait des enfants", s'enthousiasme encore Melissa. "Un matin, je me suis même réveillée avec un petit déjeuner à mes pieds (...) il y avait une grande solidarité entre nous".

Mais l'aventure touche à sa fin. Après l'avoir tolérée, M. Erdogan juge qu'il est grand temps de faire taire la révolte. Et le samedi 16 juin au soir, la police inonde le parc sous les gaz et expulse ses occupants à grands coups de matraque.

Aujourd'hui, Melissa a repris ses études. Des centaines de ses compagnons sont poursuivis devant la justice pour avoir manifesté. Et après son triomphe aux municipales, M. Erdogan devrait être élu président en août. Pour sept ans...

Mais elle n'a pas perdu l'espoir de changer son pays. "Avec le recul, beaucoup de gens pensent qu'on n'a rien gagné", admet l'étudiante. "Je pense au contraire que nous avons prouvé qu'il était possible de faire quelque chose", juge-t-elle, "ce n'est peut-être qu'une révolution intellectuelle, mais c'est déjà une victoire".

Et puis, il y a le parc Gezi, devenu un symbole. "Des gens sont morts en le protégeant, donc on ne reviendra pas en arrière", promet Melissa Kurtcan, "et s'ils reviennent pour le démolir, on reviendra nous aussi. Encore et encore".

pa/abk

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