Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Le drame méconnu des prisonniers soviétiques en France sous l'occupation nazie

Le drame méconnu des prisonniers soviétiques en France sous l'occupation nazie

Longtemps oubliée, leur histoire commence à refaire surface: des milliers de prisonniers de guerre et de civils soviétiques déportés ont travaillé en Moselle (est de la France) annexée par l'Allemagne nazie durant la Seconde guerre mondiale, et beaucoup y sont morts.

Au milieu de champs, près d'un camp militaire en ruine envahi par les arbres, une stèle solitaire commémore depuis 2012 l'horreur du camp du Ban-Saint-Jean, près de Boulay-Moselle, où des milliers de prisonniers de guerre soviétiques du Troisième Reich auraient péri.

Contrairement au Struthof en Alsace, le Ban-Saint-Jean n'était pas un camp de concentration mais un "camp de triage" pour prisonniers de guerre d'Europe de l'Est. Ils ont été "principalement affectés dans les mines de fer, de charbon et dans la sidérurgie" lorraine, rappelle Philippe Wilmouth, président-fondateur de l'association pour la conservation de la mémoire de la Moselle en 39-45 (Ascomemo).

L'Alsace et la Moselle ont été annexées par le IIIe Reich en 1940. Au total des centaines de milliers de prisonniers soviétiques (faits prisonnier par la Wehrmacht à partir de l'invasion nazie de l'URSS en juin 41) ont travaillé partout dans le Reich pour compenser le départ des Allemands au front. La Moselle, avec ses mines de charbon, la sidérurgie, était une région stratégique pour l'industrie de guerre.

Les prisonniers "tombaient comme des mouches" à cause de la faim, de l'épuisement et des maladies, selon Gabriel Becker, secrétaire de l'association franco-ukrainienne de Boulay (Afu), qui a bataillé plus de dix ans pour obtenir de l'Etat la stèle érigée sur l'ancien charnier du camp.

Combien ont été ensevelis ici entre 1941 et 1944? Certains chiffres d'après-guerre évoquent plus de 20.000 victimes, mais l'Etat a officiellement recensé 2.879 morts, un nombre établi à partir des fémurs retrouvés lors de fouilles en 1979-80.

Pour M. Becker, "ces exhumations n'ont pas été faites sérieusement". Une partie du charnier n'a pas été fouillée et "un faisceau de témoins indique un nombre plus important de victimes".

Firmin Schmitt, 87 ans, fait partie de ces derniers témoins pour qui "le compte n'y est pas". A l'été 1941, il faisait paître des vaches à proximité du camp, surpeuplé après le début de l'offensive d'Hitler contre l'Union soviétique.

Les nazis "ont commencé à faire creuser des fosses communes très rapidement. J'ai observé les allers-retours d'une charrette qui revenait toutes les 20 minutes chargée de 10 à 20 cadavres. Ils n'avaient plus que la peau et les os. Et ça durait du matin au soir, tous les jours" raconte l'octogénaire, qui parfois en "rêve encore la nuit".

Cependant personne ou presque ne réclame ouvertement de nouvelles fouilles, coûteuses et aux résultats incertains.

L'association franco-ukrainienne de Boulay elle-même met plutôt l'accent sur la recherche d'archives et la mise en valeur du site. Des panneaux pédagogiques en français, russe et ukrainien doivent ainsi être installés fin juin le long du chemin menant à la stèle.

"Il y a une histoire importante au Ban-Saint-Jean", convient Patrick Weiten, le président du conseil général de la Moselle (UDI). Cependant les contraintes budgétaires ne se prêtent guère à des projets trop ambitieux, souligne-t-il.

Par ailleurs le contexte international n'est "pas favorable" à de nouvelles fouilles sur place, en raison des fortes tensions actuelles entre l'Ukraine et la Russie, glisse Paola Zanetti, députée PS de la Moselle.

Au-delà des polémiques, le plus important est que le Ban-Saint-Jean ait contribué à une meilleure connaissance de l'histoire des populations slaves déportées en Moselle, estime Cédric Neveu, historien coauteur de "Trous de mémoire", un livre sur le sujet paru en 2011, qui a inspiré un film documentaire en 2012.

"En 1942-43, un Mosellan sur sept était d'origine slave", souligne-t-il.

Leur sort a toutefois été occulté durant des décennies: ceux qui sont revenus en Union soviétique après la guerre, sous Staline, étaient considérés comme des traîtres pour avoir été faits prisonniers, et ont parfois été envoyés au goulag.

Tandis qu'en France, "la mise en avant des souffrances soviétiques n'était pas une priorité", surtout pendant la guerre froide, poursuit M. Neveu.

D'autant qu'il y avait la "mémoire concurrente" des Malgré-Nous alsaciens-mosellans, enrôlés de force dans l'armée allemande, des Juifs déportés et des résistants.

etb/yo/jag/cac

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.