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France: du sable à la grisaille, des chibanis racontent leur migration

France: du sable à la grisaille, des chibanis racontent leur migration

De leur pays d'origine, ils se souviennent du "soleil", "des poissons frais", de "la couleur du sable". En France, ils ont vécu leurs premiers émois et désillusions: des émigrés âgés narrent leur parcours d'exil, récits réunis dans un livre à paraître en juin.

"Quand je suis venue je ne rêvais que d'une chose: voir la neige", se rappelle, les yeux brillants, Michelle Amoussou, 72 ans. Quand le jour est arrivé, la jeune fille de 18 ans arrivée du Dahomey (actuel Bénin) a ouvert la fenêtre de sa chambre de pensionnaire: "je ne reconnaissais plus rien, c'était très joli".

Arrivée seule en bateau avec une petite valise mais une cantine remplie de farine de maïs, de tapioca et d'huile de palme, son premier achat fut "une paire de chaussures à talons et une robe": "J'étais bien folle. Heureusement, maman ne m'avait pas donné tout mon pécule".

Lila, 72 ans, est "venue pour la première fois en colonie de vacances, en car, dans la Creuse. Tout au long de ma vie, j'ai fait des allers-retours. Un jour le destin a voulu que je reste plus longtemps". "Comme dit Joséphine Baker, j'ai deux amours", sourit Lila, pour elle c'est "l'Algérie et Paris".

Ces "chibanis" (cheveux blancs en arabe), qui fréquentent deux cafés sociaux nichés dans des quartiers populaires de Paris et émigrèrent entre les années 1950 et 1980, ont accepté de confier lors d'ateliers d'écritures quelques fragments de leur parcours.

Ce projet, mené en partenariat par la Bibliothèque nationale de France (BNF) et financé par le Fonds d'intégration européen, aboutira à la publication d'un ouvrage pour retranscrire cette mémoire méconnue.

Le livre s'appellera "Mémoires de Chibanis". Le mot chibani désigne en France les travailleurs immigrés, généralement maghrébins, mais également originaires d'Afrique sub-saharienne, devenus retraités immigrés.

Ils sont arrivés nombreux des anciennes colonies françaises en Afrique, attirés par un avenir meilleur et les besoins de main d'oeuvre d'une France en plein essor économique.

Certains ont migré pour le travail, d'autres pour la liberté... Lila, c'était pour "vivre un idéal: la culture, l'ouverture, l'indépendance d'esprit. La France c'était mon indépendance", raconte cette femme voilée qui est restée célibataire et sans enfant.

Venus du Mali, d'Algérie, du Maroc ou de Côte d'Ivoire, ils découvrent, fascinés, "l'embauche tout le temps", "les poinçonneurs dans le métro", la "Tour Eiffel et Notre-Dame", mais aussi les "bidonvilles", la "pluie", le "gris", le "cafard".

En Tunisie, Ali aimait "la couleur du sable blanc, très fin et quand le vent arrivait doucement dessus". La France, "c'est la liberté", mais "je n'aime pas les gens racistes. Il y en a beaucoup plus aujourd'hui".

Michelle réalise, "choquée", que "des Blancs font des tâches subalternes" et "peuvent dormir par terre". "On s'est dit, après tout, on les prenait pour des dieux: en fait, ce sont des hommes comme les autres".

A la BNF, ces chibanis ont replongé dans les archives. Malika Hadjadj, 63 ans, une loupe à la main, est penchée sur une revue évoquant la conquête de l'Andalousie par les Arabes, sur les traces d'un de ses ancêtres. Lila replonge dans de vieux Paris-Match, les mêmes que ceux que son grand-père achetait en Algérie et lui demandait de lui lire.

Pour Malika, cette plongée dans le passé "a remué beaucoup de choses. ça a fait mal, un peu". "On a partagé les souvenirs des uns et des autres, on a beaucoup ri", raconte Michelle.

Dans tous ces récits, si divers soient-ils, "il y a un attachement à la France extrême", relève Isabelle Mercat-Maheu, animatrice pour l'atelier d'écriture Elizabeth Bing. Malgré les obstacles.

"Je savais avant d'arriver que l'isolement et le racisme m'attendaient", écrit Jocelyne, la soeur de Michelle. "Tout en ayant aimé et épousé un Français et en étant heureuse de vivre à Paris", résume-t-elle, "je suis restée Africaine jusqu'à la racine de mes cheveux".

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