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La mémoire d'Indochine en pointillés dans le village français de Sainte-Livrade

La mémoire d'Indochine en pointillés dans le village français de Sainte-Livrade

Un fruit du dragon, un bananier, l'autel des ancêtres. Dans le sud-ouest de la France, un air d'Indochine plane sur la localité de Sainte-Livrade 60 ans après l'arrivée de 1.160 rapatriés dont les descendants tentent de sauver la mémoire.

C'était dans ce camp de l'armée française, comptant à l'époque 26 baraquements, un peu en dehors du village agricole de quelque 3.500 habitants, que ces "rapatriés d'Indochine", dont quelque 740 enfants, se sont installés en avril 1956, deux ans après les Accords de Genève marquant la fin de la Guerre d'Indochine, le départ des troupes françaises et l'indépendance du Vietnam et du Laos.

Ils étaient Français, issus de couples mixtes pour certains. Il y avait aussi des veuves, et, disent certains avec une certaine pudeur, des "secondes familles" indochinoises de soldats français.

Et alors que la France commémore la chute il y a 60 ans de Dien Bien Phu, le 7 mai 1954, il reste encore à Sainte-Livrade, à l'est de Bordeaux, une centaine de ces rapatriés et leurs enfants, dont une poignée vit encore dans les baraquements d'origine, à côté de maisons murées en passe d'être rasées.

Il y a par exemple dans le "D1" Mme Thi Lua Fanton d'Andon, qui explique fièrement qu'elle a eu 12 enfants, dont cinq nés en Indochine, d'où elle est arrivée à l'âge de 27 ans avec son mari, un militaire français.

Tous ont vécu dans ce logement-bâtisse d'environ 60 m2, divisé en trois pièces: un salon-cuisine et deux chambres. "Elle préfère rester là, on lui offrirait un château qu'elle n'en voudrait pas", explique Patrick Fernand, président de l'Association des amis du Cafi (Centre d'accueil des français d'Indochine) de Sainte-Livrade, lui même descendant de rapatriés.

De sa vie d'avant, Madame Thi, 87 ans, une femme frêle au sourire doux qui cuisine toujours avec des baguettes, parle peu. Juste le souvenir ébauché de son départ de Hanoï, dans le nord, où elle vivait, pour Saïgon, dans le sud, où "il faisait très chaud", avant d'être emmenée en France.

Pour éviter les représailles sur ces militaires, fonctionnaires ou proches de Français, les autorités avaient décidé de les évacuer et de les accueillir, dans divers centres, en particulier à Noyant (centre), à Bias (sud-ouest) et à Sainte-Livrade. Ils furent les premiers "rapatriés", bien avant ceux d'Algérie.

Des milliers s'éparpillèrent sur tout le territoire et les plus démunis furent installés dans des camps, une situation en principe provisoire et précaire. Dans les baraquements de Sainte-Livrade, où la France a aussi reçu des Républicains espagnols, l'eau chaude faisait défaut, l'isolation était nulle et l'électricité, rationnée.

"Nous avons été très mal accueillis. On était partout humiliés. On nous disait +sale chinetoque+, se souvient Robert Leroy, 68 ans, ouvrier à la retraite, fils d'un colonel de l'armée française. Mais ces rapatriés, qui avaient leur école dans le camp, "n'ont pas fait de bruit", complète Patrick Fernand non sans rappeler que dans la France de l'après-guerre la vie était dure pour tous.

L'Etat, qui a cédé le camp à la commune de Sainte-Livrade au début des années 1980, "ne s'en est pas beaucoup occupé", témoigne aussi l'ancienne maire du village, Claire Pasut.

C'est finalement au début des années 2000 que les descendants ont commencé à réclamer. Etrangement, ils craignaient la destruction des baraquements, qui, bien qu'insalubres, semblaient être le receptacle de toute leur mémoire.

"Des autels privés (de culte aux ancêtres) ont dû être détruits. C'est très douloureux", explique Patrick Fernand.

Un accord a finalement été trouvé en 2008 pour la construction de nouveaux logements. Six ans plus tard, la dernière livraison de maisons est prévue en juillet.

Le frère aîné de Patrick Fernand, Pierre, s'installera au "17, rue de la Soie". Un déménagement qu'il vit comme un déracinement, même s'il a lieu à quelques centaines de mètres. L'architecture évoque pourtant le Vietnam: maisons en bois, pergolas rouges, entre lesquelles poussent des cerisiers.

Dans les deux nouvelles épiceries, on trouve tous les produits du pays: gâteaux au soja, gingembre, pho et soupe aux raviolis, très appréciés des autres habitants du village qui s'y arrêtent pour déjeuner.

Mais les "rapatriés" espèrent que le quartier du souvenir qu'on leur a promis dans quatre anciens baraquements comprenant la pagode, la chapelle et un lieu de mémoire, sera bien construit.

"Allez on trinque pour la dernière fois, après ils vont tout raser", dit Patrick Fernand.

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