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La Centrafrique, désolant paradis des voitures sans roues

La Centrafrique, désolant paradis des voitures sans roues

Dans les villes, villages, sur les bords de route, elles s'inscrivent partout dans le paysage ; les voitures sans roue de Centrafrique, posées sur des cales, jantes, pierres... témoignent de l'insécurité persistante dans le pays depuis deux ans.

Leurs propriétaires ne craignent pas de se faire dérober leurs pneus, comme on pourrait l'imaginer. Habitués aux vols de véhicules, très fréquents, ils usent plutôt de ce stratagème pour protéger l'ensemble.

Le phénomène date de décembre 2012. La Séléka, rébellion armée venue du Nord, à dominante musulmane, débute alors sa marche vers Bangui. Elle y prendra le pouvoir et l'exercera de mars 2013 à janvier 2014. Mais ses hommes sont trop souvent à pied. La razzia automobile peut commencer.

Les biens des chrétiens sont d'abord confisqués. L'évêché de Bambari, à 300 kilomètres de Bangui, déplore le vol de huit 4x4. "D'abord ils ont volé les véhicules d'humanitaires garés chez nous. Puis ils ont pris les nôtres", raconte l'abbé Sébastien, qui ne veut pas donner son vrai prénom.

"Au début, on ne savait pas comment s'en défendre. Puis on s'est dit : +on cache les roues !+", se souvient-il.

A leur première tentative, les pères pèchent par ingénuité. Les roues sont simplement dissimulées dans un garage attenant. Les Séléka les retrouvent, les remontent et repartent tranquillement avec l'auto.

Le clergé, à l'instar des autres propriétaires de voitures, rivalisera ensuite d'ingéniosité pour escamoter les roues de ses véhicules. Sans succès garanti. Quand les ex-rebelles ne remettent pas la main dessus, ils deviennent violents. Et font plier leurs victimes.

Dans la paroisse de Grimari, à 80 kilomètres de Bambari, des ecclésiastiques choisissent de démonter le volant d'un véhicule. Mais ils finissent par le donner, l'un d'eux étant menacé de mort, raconte l'abbé Sébastien.

Des centaines de civils chrétiens subiront les mêmes vols. Les musulmans sont également pris pour cible. Tout ce qui roule est méthodiquement confisqué. Les camions ne font pas exception. A Bambari comme ailleurs, les poids lourds sont aussi posés sur cales.

Se déplacer est de fait devenu un luxe en Centrafrique, où les véhicules sont si rares que les passagers dressent des pyramides humaines sur les toits des quelques tacots assurant le transport collectif.

Une vieille Peugeot poussive pourra aisément transporter 15 personnes en extérieur, dont au moins une s'assoira sur le pare-brise, en plus des passagers traditionnels, de sacs de riz, caisses de bières, etc.

Les voitures sont plus fréquentes à Bangui. Mais le vol y est aussi plus intense. Un petit garagiste chrétien du PK-5, un quartier à la mixité vantée avant la crise, où quelques milliers de musulmans demeurent encore, a mis hors d'usage six des onze voitures qu'il gardait.

Mais il a varié les plaisirs. Les roues d'une grosse berline italienne ont été retirées et placées dans son habitacle beige. Les écrous des jantes d'un 4X4, devenu bancal, ont été cachés. Des pièces des moteurs d'autres véhicules ont été retirées.

Malgré la chute de la Séléka, aucune des autos n'a été remise sur pied. Le garagiste, qui souhaite rester anonyme, craint à présent les méfaits des anti-balaka (milices majoritairement chrétiennes).

Ces jeunes miliciens, après avoir massacré surtout des musulmans, qu'ils estimaient responsables des exactions de la Séléka, s'en prennent aussi aux chrétiens.

Chaque nuit ou presque, des Banguissois de toutes confessions sont tués, décapités à la machette, abattus. Des corps sont retrouvés dans des puits. La délinquance violente a pris le relais des massacres confessionnels.

Les habitants se terrent, n'osent plus se déplacer, de jour comme de nuit. A la mi-journée, l'affluence est nulle à l'hôpital du quartier Castor, au PK-5.

Mais dans la cour de cet établissement jaune et rose, une auto bleue attire le regard. Dressée sur ses roues avant, dégonflées, au milieu d'herbes folles. Les roues arrière ont été démontées.

Dans l'habitacle, un drapeau "I love Central Africa republic". Sur la plage arrière, une guirlande argentée, incongrue au mois d'avril.

"C'est une femme colonel de police qui a garé ça là, par mesure de sécurité", renseigne l'un des gardiens de l'hôpital. En Centrafrique, même les forces de l'ordre ne peuvent protéger leurs biens. Les voitures sans roues ont de l'avenir.

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