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A Islamabad, les autorités en guerre contre les bidonvilles

A Islamabad, les autorités en guerre contre les bidonvilles

Enveloppée d'un long châle pourpre, la vieille Mirjan erre le coeur en berne sur les ruines de son bidonville fraîchement rasé. Dans la capitale pakistanaise Islamabad, les autorités ont déclaré la guerre à ces ghettos de balayeurs chrétiens et réfugiés afghans. Et la résistance s'organise...

Ils sont venus le 14 avril, aux premières lueurs du jour. Envoyés par la mairie d'Islamabad, des bulldozers, pelleteuses et autres titans d'acier ont transformé un campement de taudis illégaux du quartier de I-10 en vaste champ de bataille.

Sur les ruines de cette colonie de masures bringuebalantes, érigée près d'une voie ferrée et sous les lignes à haute tension, ne restent plus que des enfants barbouillés, assaillis de mouche, courant après quelques vaches urbaines.

Cheveux grisonnants, yeux turquoise éclatants, Mirjan, 70 ans, a vu son modeste univers s'effondrer. "Ils nous ont écrasés", souffle-t-elle, la voie étranglée de sanglots.

Au Pakistan, les gagne-petits, les réfugiés de la guerre afghane ou des violences du nord-ouest du pays s'entassent dans des "Katchi Abadi", des bidonvilles tissés de briques, de béton et de toile, traversés de ruelles en zigzag et d'égouts à ciel ouvert.

A Islamabad, construite à partir des années 1960, les autorités ont promis de raser ou évacuer, sans compensation, 14 de ces "Katchi Abadi" considérés comme des campements illégaux ou des sanctuaires terroristes. Le 14 avril, elles sont passées de la parole aux actes en rasant un premier bidonville, celui de Mirjan.

Le quartier se remettait à peine d'un bain de sang. Cinq jours plus tôt, à quelques centaines de mètres de là, l'explosion d'une bombe sur un marché avait fait 24 morts et plus d'une centaine de blessés, l'attentat le plus meurtrier dans la capitale depuis 2008.

Troublés par la coïncidence, certains habitants ont crié au complot destiné à hâter les destructions des bidonvilles, quand les autorités y ont vu une raison supplémentaire de "nettoyer" la zone.

"Les gens ici sont des balayeurs, des chiffonniers, mais on nous traite avec cruauté. Nous ne sommes pas des terroristes, des voleurs ou des mécréants, mais on s'en prend à nous car nous sommes pauvres", dit Mirjan, inconsolable dans les ruines.

A deux pas, des hommes ramassent des briques qu'ils écouleront pour quelques dizaines de dollars dans les bazars, comme s'ils bradaient leur maison par pièces détachées. Plus loin, des pelleteuses lissent encore le sol cahoteux. Bientôt, plus rien ne paraîtra.

"J'ai passé la majeure partie de ma vie ici, je suis vieille, je ne peux même plus travailler comme bonne et je n'ai nulle part où aller", murmure la vieille, toujours abasourdie.

Islamabad est un paisible écrin de verdure quadrillé de vastes pavillons rappelant les banlieues américaines. Dans ses interstices se nichent aussi de petits bidonvilles surpeuplés où s'agglutinent les gagne-petit, dont nombre de membres de la minorité chrétienne.

"Tout le monde a peur ici", lance Pervaiz Masih, un garde de sécurité au corps sec, dans le bidonville chrétien du secteur G-7, un des prochains sur la liste des évacuations forcées.

"Nous avons construit ces maisons à la sueur de notre front. Si nous sommes illégaux, pourquoi la mairie ne nous a pas empêchés de nous établir ici?", rage-t-il, accusant les fonctionnaires d'avoir touché pendant des années des bakchichs des habitants du ghetto.

"Tout ça est absurde. Ce sont ces gens qui font tourner la ville, ce sont eux les chauffeurs, les cuisiniers, les balayeurs ou les femmes de ménage", s'indigne Aasim Sajjad, président de l'Association des Katchi Abadi du Pakistan. "Si vous démolissez ces camps, ils vont réapparaître dans un mois sous d'autres formes car les gens devront bien vivre quelque part".

Et ce quelque part, c'est la banlieue. "Ces gens doivent payer un loyer et dans la banlieue il y a des appartements à 3.000 ou 5.000 roupies (entre 30 et 50 dollars) par mois", explique Shaista Sohail, la responsable de l'immobilier à la mairie d'Islamabad.

Une somme considérable dans un pays où le salaire minimum mensuel avoisine 100 dollars et à laquelle les "petites mains" devront ajouter des frais de transport pour aller travailler dans les commerces ou les luxueuses résidences des quartiers centraux.

Dans les entrailles de ces bidonvilles, les raisins de la colère commencent ainsi à mûrir. Des manifestations peu médiatisées se sont multipliées ces dernières semaines pour tenter de stopper ces expulsions. En vain.

"Nous n'avons pas de kalachnikov, pas de fusil, nous sommes pacifiques, je prie Jésus qu'ils ne viennent jamais ici", lance Youssaf Masih Bhatti, le pasteur du ghetto chrétien de G-7. Et si les bulldozers se dressent un jour devant le bidonville, "nous nous tiendrons devant eux", assure Pervaiz. En tremblant.

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