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Le bidonville de Diepsloot, une poudrière de la nouvelle Afrique du Sud

Le bidonville de Diepsloot, une poudrière de la nouvelle Afrique du Sud

"Je suis venu à Joburg en pensant trouver du boulot. Mais y en a pas!", lâche Elias, venu tuer le temps dans une taverne du township de Diepsloot, se désespérant d'avoir un gagne-pain et une maison en dur, la fameuse "vie meilleure pour tous" promise par Nelson Mandela à la fin de l'apartheid.

Comme lui, des centaines de milliers de Sud-Africains ont délaissé les provinces voisines pour converger vers Johannesburg, la capitale économique du pays.

"Si le gouvernement nous avait donné une maison à tous, alors oui, la vie serait meilleure. Je suis dans un squat!", ajoute-t-il, désignant des abris de fortune à perte de vue dans ce vaste bidonville qui fait parler de lui uniquement pour de mauvaises raisons.

Depuis les premières élections démocratiques le 27 avril 1994, le gouvernement a pourtant construit 3,7 millions de logements dans le pays. Insuffisant. Selon le dernier recensement national de 2011, 13,6% des foyers sud-africains vivent dans des bidonvilles.

Les townships, ces lotissements-ghettos construits pour les Sud-Africains noirs, métis et indiens sous le régime d'apartheid, craquent aujourd'hui de partout sous le poids de leurs nouveaux habitants et des zones de bidonvilles qui gagnent chaque année du terrain.

Le mélange racial, devenu la norme dans les quartiers de la classe moyenne, y reste inconnu.

Diepsloot --de l'afrikaans "Fossé profond"--, assez loin au nord-ouest de Johannesburg, est devenu l'un des visages de ce malaise social qui ronge le pays gouverné par l'ANC, l'ancien parti de Nelson Mandela. Un lieu de pauvreté galopante, de conditions de vie épouvantables, de chômage, de manifestations violentes, de criminalité brutale, de lynchages et de xénophobie rampante.

Sa particularité, c'est d'avoir poussé après la chute de l'apartheid, à partir du milieu des années 1990, quand les autorités ont entrepris de vider d'autres squats pour améliorer le logement. Au fil des années, les gens n'ont cessé d'affluer, et environ 200.000 personnes s'y entassent.

Dépourvu de cette notoriété qui assure à Soweto, fief de la lutte anti-apartheid, la manne providentielle d'associations internationales de tout poil ou d'industriels en mal d'actions philanthropiques, l'arrondissement de Diepsloot souffre.

Seules quelques routes principales sont goudronnées. Il y a la police, des pompiers et un bâtiment municipal.

Mais une fois passées ces quelques infrastructures, ce n'est plus qu'un labyrinthe de rues défoncées et encombrées de détritus, serpentant au milieu des masures, sans eau courante ni électricité pour une grande partie.

"Dans 4 mètres par 4, on tient à cinq", explique Kabelo, 32 ans, un autre client de la taverne.

"Soixante-dix personnes partageant un WC, ce n'est pas sain", ajoute-t-il, affirmant que le manque de progrès de l'hygiène est la faute de la corruption municipale. "Ils se mettent juste l'argent dans la poche".

Certains s'en sortent, comme Given Chauke, 29 ans, qui jure qu'il vend le meilleur poulet frit sur la route principale. "Il y a plein de gens ici! Les affaires marchent", dit ce vendeur ambulant originaire du Mozambique.

Les 200 rands (14 euros) de profit qu'il dégage chaque jour lui suffisent pour tenir, et il a plein d'autres idées pour se développer.

La criminalité reste cependant un obstacle. Des "tsotsis", comme on appelle les racailles localement, ont récemment braqué le petit débit de boisson de son frère. "La criminalité est trop élevée. Rien que des voyous", peste-t-il.

"Parfois on tombe sur un macchabée et à 21H30 il n'est plus possible d'aller là-bas même en voiture", soupire-t-il en indiquant une marée de baraques à l'horizon.

"Si quelqu'un vole, on lui règle son compte nous-même", ajoute Given. "On ne peut pas aller à la police, ça prend trop de temps!"

Les immigrants asiatiques et africains sont les premiers à faire les frais de la colère populaire quand les choses tournent mal. Lors des ratonnades xénophobes de 2008, qui firent plus de 60 morts, Diepsloot s'est tristement illustré.

Cela ne gêne guère notre vendeur de poulet, mais il est fondu dans la masse avec son nom sud-africain et sa maîtrise des langues locales.

Kabelo, lui, assure que Diepsloot se porterait mieux sans immigrés. "La plupart des mecs qui foutent la zone ici sont les étrangers".

A l'approche des élections générales du 7 mai où le gouvernement ANC est paradoxalement en passe d'être reconduit avec les voix des plus pauvres, Diepsloot est calme. Mais de nombreux autres townships frisent l'émeute et la police a recensé près de 600 manifestations depuis janvier dans la riche province du Gauteng, où sont situées Johannesburg et Pretoria.

"Le gouvernement fait des efforts mais il est très lent. C'est lent, c'est lent", soupire Kabelo.

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