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Ukraine: Kharkiv, ville de l'est en crise d'identité

Ukraine: Kharkiv, ville de l'est en crise d'identité

Ce sont deux statues, symboles des déchirures que vit la population de Kharkiv, ville de l'Est russophone de l'Ukraine.

Au pied du monument à Taras Chevtchenko, poète et figure emblématique de la renaissance de la culture ukrainienne au XIXe siècle, on brandit le drapeau national bleu et jaune et celui bleu étoilé de l'Europe, en soutien aux nouvelles autorités de Kiev.

A quelques centaines de mètres, c'est le drapeau rouge et les trois couleurs blanc-bleu-rouge de la Russie qu'on agite sous une monumentale statue de Lénine, en réclamant l'autonomie ou l'indépendance, face à un gouvernement jugé illégitime.

Après l'indépendance, à l'effondrement de l'URSS en 1991, beaucoup de villes d'Ukraine ont renversé les statues de Lénine pour ériger des monuments à Taras Chevtchenko. Mais Kharkiv a gardé les deux.

Et aujourd'hui, cette ville de près d'un million et demi d'habitants, située à une quarantaine de kilomètres à peine de la frontière russe et à 500 km de la capitale, est en pleine crise d'identité. Russophone, économiquement tournée vers son grand voisin, et en même temps ukrainienne.

"Nous avons besoin de la fédéralisation, c'est la seule chose qui puisse nous sauver, nous avons des histoires très différentes", lance Emilie Belkina, mère de famille de 31 ans.

Une référence aux différences entre l'est du pays, réputé berceau de la Russie, et l'ouest, nationaliste, rattaché bien plus tard à l'Union soviétique et réputé tenté par une alliance avec l'Occupant nazi pendant la guerre pour construire son indépendance.

Autour de la statue de Lénine, le renversement fin février du régime pro-russe du président Viktor Ianoukovitch est qualifié -comme à Moscou- de putsch "fasciste".

Et Kharkiv a été ces derniers jours le théâtre de violences, les plus virulents des pro-russes attaquant à coup de cocktails molotov les locaux de l'administration régionale nommée par Kiev.

Mais même chez les modérés, qui récusent ces actions, la confiance est partie et on n'a plus que ce mot de "fédéralisation" à la bouche.

Un concept promu par Moscou, qui affirme qu'il peut seul garantir les droits des minorités, et rejeté par Kiev, qui y voit le début d'un éclatement et refuse d'aller plus loin qu'une "décentralisation".

"Ça fait 23 ans (depuis la chute de l'URSS ndlr) que nous sommes un seul pays, mais ils (l'ouest) nous ont toujours détestés", assure une femme qui donne juste son prénom, Mila. Et de pester contre la fin de la diffusion des chaînes de télé russes, pour éviter selon les nouvelles autorités pro-européennes de Kiev la propagande du Kremlin.

L'abrogation - non promulguée - d'une loi sur le statut des langues, notamment du Russe, a également hérissé dans la région.

"Personne ne parle Ukrainien à la maison. Dans ma ville, à la maison on parle Russe, on se sent Russes", martèle Emilie Belkina. "On peut comprendre qu'on vive en Ukraine, mais nous devons être amis avec la Russie ou nous allons mourir".

Beaucoup des contestataires assurent qu'ils boycotteront le scrutin présidentiel anticipé du 25 mai si un référendum sur une plus grande autonomie régionale ne se tient pas en même temps.

Mais pour le gouverneur-adjoint de la région, Iouri Gueorguievski, les gens ne saisissent pas tous les enjeux. "Ils parlent de fédéralisation, mais quand vous leur demandez s'ils comprennent les conséquences de cette réforme de l'Etat, la réponse est non".

Raïssa, retraitée de 63 ans, ne dit pas autre chose. "Personne ne nous a expliqué. Est-ce bien, est-ce mal? Franchement je ne sais pas".

Mais Kharkiv n'a pas que de la nostalgie pour le passé. Les purges soviétiques contre les "nationalistes", sans parler de la grande famine favorisée par Staline et ses millions de morts, sont encore dans bien des mémoires.

Lena Abiouk, 40 ans, se presse près de la statue de Chevtchenko. "Nous ne voulons pas d'un retour en arrière," dit cette enseignante d'anglais, originaire de Crimée.

Des larmes lui montent aux yeux en pensant à sa famille, divisée par le rattachement en mars à la Russie de cette péninsule ukrainienne, après un référendum contesté.

"La moitié de ma famille là-bas est heureuse que les Russes soient venus. Je ne peux même pas en parler avec ma mère. Mais l'autre moitié ne voit plus d'avenir pour ses enfants".

fb/so/emb

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