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Au Rwanda, des Eglises du réveil qui "poussent comme des champignons" depuis le génocide

Au Rwanda, des Eglises du réveil qui "poussent comme des champignons" depuis le génocide

Comme de nombreux Rwandais, Jean-Claude Zamwita a longtemps été catholique pratiquant. Mais au début des années 2000, il s'est tourné avec sa famille vers une des nombreuses Eglises pentecôtistes qui, depuis la fin du génocide de 1994, pullulent au Rwanda et attirent de plus en plus de fidèles.

Ces Eglises - génériquement dites "de réveil", en plein essor en Afrique depuis les années 1970-80 - sont arrivées dans le pays au lendemain du génocide, avec les exilés rwandais rentrant d'Ouganda ou de République démocratique du Congo (RDC), où de nombreux Tutsi avaient fui depuis des années les persécutions.

Elles ont bénéficié d'un terreau avec la perte de prestige de l'Eglise catholique, due à sa proximité avec le régime hutu extrémiste ayant déclenché le génocide et à l'implication de prêtres et religieux dans les massacres qui firent en 100 jours quelque 800.000 morts, essentiellement dans la minorité tutsi.

Entre avril et juillet 1994, de nombreuses églises furent le théâtre de tueries de masse, les miliciens hutus y trouvant leurs victimes rassemblées - parfois par des prêtres qui livraient ensuite leurs ouailles aux tueurs - et sans échappatoire.

Début avril, le pape François avait estimé que "la réconciliation et la guérison des blessures" restait "la priorité" de l'Eglise catholique au Rwanda.

Lundi, lors des commémorations du 20e anniversaire du génocide, le président Paul Kagame a accusé l'Eglise catholique d'avoir "pleinement participé" à la mise en place de l'idéologie coloniale créant un clivage entre hutu et tutsi et ayant in fine abouti au génocide.

A l'Unesco, l'ambassadeur du Rwanda à Paris, Jacques Kabale, a lui dénoncé le même jour "le silence" de l'Eglise catholique durant les tueries de 1994.

"Son abandon a été d'autant plus vivement ressenti que certains de ses membres ont couvert ces actions criminelles", a expliqué M. Kabale, "plusieurs églises au Rwanda sont devenues aujourd'hui des lieux de mémoire des massacres de dizaines de milliers de tutsi venus y chercher refuge".

Mais, tempère Paul Rutayisire, historien spécialiste des questions religieuses, "le débat sur rôle de l'Eglise catholique (dans le génocide) se déroule finalement entre certaines élites ou au sein des rescapés (...) car dans la majorité (hutu) qui n'était pas pourchassée, il n'y a pas ce genre de questionnement".

Il estime surtout que "ces Eglises (de réveil) attirent car il y a des chants, on joue sur l'émotion, l'expression individuelle".

Juchés sur une estrade dans le petit bâtiment de briques rouge de l'Eglise Celpar (Communauté des Eglises libres de Pentecôte en Afrique et au Rwanda), une dizaine de fidèles, chantent, dansent, sautent, s'agenouillent. Dans les travées, on psalmodie les bras au ciel ou la tête dans les mains, en essuyant parfois quelques larmes.

"A la messe, il n'y avait pas d'échange entre le prêtre et les fidèles, j'étais comme un esclave, on me disait: +fais ça, ne fais pas ça+ (...) ici, je me sens libre", explique Jean-Claude Zamwita, brandissant sa bible à la sortie de l'Eglise Celpar à Kigali.

James Nsengiyumva, son pasteur et secrétaire général, est un Rwandais de 39 ans, né en Ouganda et revenu au lendemain des massacres.

"Après le génocide les gens étaient faibles dans leurs coeurs, malades (...) nous sommes venus apporter un nouveau message de +puissance+ et de réconciliation", explique le pasteur, vêtu d'un costume chic de bonne coupe et qui revendique 29 églises au Rwanda, trois au Burundi et une quarantaine en RDC.

Les Eglises de réveil "poussent comme des champignons", confirme Félicien Usengumukiza, directeur général adjoint de l'Office rwandais de la gouvernance (RGB), notamment chargé de l'enregistrement et de la supervision des organisations religieuses.

Selon M. Rutayisire, cependant, elles n'ont pas totalement supplanté l'Eglise catholique, mais cohabitent plutôt avec elle: "le marché du religieux est totalement ouvert, tantôt on va chez les catholiques, puis chez les autres, on peut même fréquenter les deux (...) ce sont des voyages spirituels".

"Ce n'est pas une concurrence", confirme Smaragde Mbonyintege, président de la Conférence épiscopale du Rwanda, soulignant que l'Eglise catholique a surtout "des choses à apprendre des méthodes" des cultes pentecôtistes.

Du côté des autorités rwandaise, on commence à surveiller ces nouvelles Eglises du coin de l'oeil. "Le problème (...) est que la plupart sont basées sur le +business+, plus que sur l'évangélisation", explique M. Usengumukiza, évoquant des "conflits" croissants liés à l'argent au sein de certaines congrégations.

M. Zamwita, qui vit en enchaînant les petits boulots verse comme de la plupart des fidèles "la dîme", soit 10% de son salaire mensuel, à son Eglise. Une contribution officiellement non obligatoire, mais très fortement "encouragée" au sein de ces Eglises.

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