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ATR, voix des Tatars et télévision indépendante de Crimée

ATR, voix des Tatars et télévision indépendante de Crimée

"Salam alekoum !", lancent machinalement aux visiteurs une flopée de jeunes journalistes affairés dans l'open space d'ATR, la télévision de la minorité musulmane tatare de Crimée. Cette chaîne indépendante craint la pression de Moscou après le rattachement de la péninsule à la Russie.

"Quand on voyait passer 70 véhicules militaires, on se disait que c'était pour nous, qu'ils venaient couper l'antenne", raconte Aïder Mouradosilov, le directeur artistique d'ATR, en regardant à travers une baie vitrée la route qui longe sa chaîne, dans la périphérie de Simféropol.

Cet homme élégant en costume gris tripote nerveusement son smartphone et se remémore les journées "très difficiles" autour du référendum du 16 mars, qui a abouti au rattachement de la Crimée à la Russie. Les dirigeants pro-Moscou avaient subitement remplacé les chaînes ukrainiennes par les programmes russes, prétextant notamment des problèmes techniques.

Mais ATR, fondée en 2005 au lendemain de la Révolution orange pro-occidentale --la couleur de son antenne-- a tenu bon. Sa méthode: s'appuyer sur les téléspectateurs.

Un soir où les Russes prenaient possession des bâtiments officiels de la ville, plusieurs dizaines d'entre eux s'étaient spontanément regroupés devant la chaîne pour la soutenir.

Pendant deux semaines, ATR a aussi placé deux caméras sur son toit pour filmer le parking, diffusant les images en continu dans un coin de l'écran. Les téléspectateurs pouvaient signaler toute intrusion.

Propriété d'un homme d'affaires, la chaîne emploie 150 personnes et se revendiquait avant la crise première télévision de Crimée. Elle veut être la voix des Tatars, ce peuple originaire de la péninsule, déporté en masse par l'URSS de Staline, et qui n'a retrouvé sa terre que dans les années 80.

ATR diffuse un "show" matinal quotidien, dans un décor oriental très kitsch, des émissions pour enfants, mais surtout des journaux en russe, ukrainien et tatar, qui se veulent "objectifs", face aux chaînes russes favorables à Moscou.

"Certains disent qu'on ment, car nos informations sont différentes de ce qu'ils voient à la télévision russe", assure Ibrahim Oumerov, un reporter de 23 ans à la barbe de trois jours, qui travaille pour la chaîne depuis quatre ans.

"Ils pensent que si on est une télévision tatare, cela veut dire qu'on hait les Russes", ajoute-t-il. "Mais une grande partie de nos programmes est en russe et on ne les déteste pas !"

Le jeune homme raconte avoir été séquestré pendant la crise en Crimée par des hommes armés et cagoulés, qui ne voulaient pas être filmés. Bilan: un coup de crosse, un coup de poing et l'abandon du matériel.

Au plus fort de la crise, la jeune rédaction d'ATR, essentiellement composée de Tatars, produisait un journal par heure.

"Nous essayons d'apporter une information rapide et indépendante", explique Aïder Mouradosilov. "Mais nos journalistes commencent à ne pas être acceptés à certains évènements", regrette-t-il.

Une assistante de production en tailleur argenté l'interrompt: le premier ministre russe Dmitri Medvedev est à Simféropol, mais ATR n'est pas la bienvenue. La jeune femme a besoin de sa signature pour demander les images de Rossia 24, la chaîne d'informations publique russe, qui reprend à son compte la rhétorique de Moscou sur la crise ukrainienne.

"Vous voyez, on doit passer par Moscou pour avoir les images d'un évènement à cinq minutes d'ici !", peste-t-il.

La chaîne doit aujourd'hui se positionner face aux velléités d'autonomie de sa communauté.

"Moi, personnellement, j'aimerais voir un jour les Tatars de Crimée dans un Etat indépendant", affirme Aïder Mouradosilov, qui a vu le jour en Ouzbékistan, mais dont les parents et les enfants sont nés en Crimée. "Mais on doit d'abord analyser ce qui peut être fait", nuance-t-il en regardant sa grosse montre en métal, désormais à l'heure de Moscou.

zap/gmo/ros

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