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En Turquie, l'automne annoncé du "sultan" Erdogan

En Turquie, l'automne annoncé du "sultan" Erdogan

Douze ans de règne l'ont imposé comme le maître de la Turquie. Mais ses pratiques autoritaires et un scandale de corruption inédit ont aussi fait de Recep Tayyip Erdogan sa figure la plus contestée, à l'aube d'un scrutin municipal crucial pour son avenir.

A 60 ans, il reste de très de loin la personnalité la plus populaire depuis Mustafa Kemal Atatürk, le "père" de la Turquie moderne, avec pour principal crédit une décennie de succès économiques et de stabilité politique.

Et pourtant. Depuis que son Parti de la justice et du développement (AKP) a pris les rênes du pays en 2002, jamais sa position n'a paru aussi fragile.

Dénoncé comme un "dictateur" par la rue en juin, il est désormais mis en cause dans une affaire politico-financière inédite qui fait vaciller le sommet de l'Etat, à la veille des élections municipales de dimanche et de la présidentielle d'août.

Depuis des semaines, ses adversaires le traitent de "voleur" et exigent sa démission. Des écoutes téléphoniques pirates le peignent en "parrain" extorquant des pots-de-vin aux patrons ou en autocrate imposant leur "une" aux médias. Et il est vilipendé dans le monde entier pour avoir bloqué Twitter et YouTube.

"Il a définitivement perdu toute légitimité pour diriger ce pays", a tranché son principal opposant, Kemal Kiliçdaroglu.

Mais celui que ses rivaux brocardent parfois comme un nouveau "sultan" n'a pas capitulé. Loin de là. Comme lors de la fronde antigouvernementale de Gezi au printemps dernier, M. Erdogan a repris sa stratégie favorite, celle de la victime, et organisé la riposte.

A chacune de ses réunions publiques, il galvanise ses troupes en agitant le spectre d'un "complot" contre la Turquie et sa personne, ourdi par ses anciens alliés de la communauté religieuse de l'imam Fethullah Gülen.

C'est en cultivant cette image d'homme fort, proche des préoccupations du Turc de la rue, que ce gamin des quartiers modestes d'Istanbul a gravi les marches du pouvoir.

Éduqué dans un lycée religieux, vendeur de rue, "Tayyip" a un temps caressé une carrière de footballeur, avant de se lancer en politique dans la mouvance islamiste.

Elu maire de la plus grande ville du pays en 1994, il triomphe huit ans plus tard lorsque son Parti de la justice et du développement (AKP) remporte les législatives et qu'il devient lui-même Premier ministre en 2003, une fois amnistiée une peine de prison qui lui avait été infligée pour avoir récité un poème religieux.

Pendant des années, son modèle de démocratie conservatrice, alliant capitalisme et islam modéré, enchaîne les succès, dopé par les taux de croissance "chinois" de son économie. Réélu haut la main en 2007 puis en 2011, avec près de 50% des voix, il semble alors installé au pouvoir pour longtemps et rêve déjà à la présidentielle de 2014.

Mais ce scénario déraille en juin 2013. Pendant trois semaines, plus de 2,5 millions de Turcs descendent dans la rue pour lui reprocher sa main de fer et ses mesures de plus en plus ouvertement "islamistes".

Le chef du gouvernement répond par une répression sévère des "voyous" qui le contestent, mais son crédit démocratique en prend un sérieux coup.

"Depuis qu'il a pris le pouvoir, il a progressivement viré du pragmatisme à l'idéologie, du travail d'équipe aux décisions personnelles, de la démocratie à l'autoritarisme", résume Ilter Turan, professeur à l'université Bilgi d'Istanbul.

L'affaire de corruption qui a éclaté le 17 décembre dernier noircit encore le tableau. M. Erdogan a répondu par des purges sévères et des lois jugées "liberticides" dénoncées en Turquie, à Bruxelles ou à Washington.

Sur les estrades, il a repris son discours agressif et clivant et mobilisé son camp pour faire des élections locales un référendum autour de sa personne.

"Il n'agit plus en homme d'Etat mais en chef de bande", déplore un diplomate, "sa fin est proche, la question est de savoir à quelle échéance et à quel prix pour le pays".

Persuadé du soutien d'une majorité de Turcs, M. Erdogan espère pouvoir laver les accusations et les critiques dans les urnes, le 30 mars. Les affiches électorales à son effigie célèbrent sa "volonté de fer".

S'il semble avoir renoncé à la présidentielle, il évoque désormais l'hypothèse d'un changement des règles de son parti pour briguer un quatrième mandat en 2015. Pas question de quitter le pouvoir.

"Si mon parti ne remporte pas la première place au scrutin municipal, je suis prêt à renoncer à la politique", a lancé M. Erdogan. Sûr de lui et provocateur, toujours.

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