Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Turquie: la guerre déclarée par Erdogan à internet provoque l'indignation

Turquie: la guerre déclarée par Erdogan à internet provoque l'indignation

Le blocage du réseau Twitter décrété par le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan en Turquie à neuf jours d'un scrutin municipal crucial pour son régime a suscité un concert mondial de protestations contre la "censure", y compris de la part du président turc.

Sur ordre du gouvernement, l'autorité des télécommunications (TIB) a purement et simplement interdit jeudi soir l'accès au site de microblogging, coupable d'avoir diffusé des enregistrements de conversations téléphoniques piratées qui mettent en cause M. Erdogan dans un vaste scandale de corruption.

Au milieu d'une avalanche de critiques venues de Turquie comme de nombreuses capitales étrangères, le chef de l'Etat turc Abdullah Gül a dénoncé explicitement la mesure prise par le chef du gouvernement.

"On ne peut pas approuver le blocage total des réseaux sociaux (...) j'espère que cette situation ne durera pas longtemps", a-t-il écrit sur son compte Twitter.

Réputé plus modéré, M. Gül a multiplié les prises de distance publiques avec les positions intransigeantes de M. Erdogan, un de ses compagnons de route politiques.

Le mois dernier, il avait ainsi promulgué une nouvelle loi controversée du gouvernement renforçant le contrôle d'internet mais s'était catégoriquement opposé au Premier ministre lorsqu'il avait menacé de s'en prendre à YouTube et Facebook.

Le principal parti d'opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), et le président de l'association des barreaux de Turquie (TBB), Metin Feyzioglu, ont annoncé vendredi leur intention de saisir la justice pour obtenir la levée de l'interdiction.

"C'est une violation incroyable des droits fondamentaux et des libertés", s'est indigné auprès de l'AFP le député du CHP Aykan Erdemir, "la Turquie fait désormais partie des pays les plus autoritaires en matière de liberté sur le net".

La décision de la TIB a été officiellement motivée par des plaintes en justice déposées à Istanbul mais le bureau du procureur de la ville a affirmé, dans un communiqué, n'avoir rendu "aucune décision" d'interdiction.

Un avocat turc de Twitter a rencontré vendredi après-midi des responsables de la TIB à Ankara pour tenter le débloquer le conflit.

"Si les sites visés sont fermés, Twitter pourra être débloqué", a promis le ministre des Télécommunications Lutfi Elvan. "La Turquie n'est pas un pays interdisant internet mais ces plateformes doivent se conformer aux lois", a-t-il ajouté.

Dans la dernière ligne droite d'une campagne électorale municipale très tendue par les affaires de corruption qui le visent personnellement, M. Erdogan avait annoncé sa décision jeudi devant des milliers de partisans à Bursa (ouest) : "nous allons éradiquer Twitter. Je me moque de ce que pourra dire la communauté internationale".

Sitôt matérialisée, la décision des autorités a été rapidement contournée par les internautes qui ont pu accéder au réseau via d'autres serveurs. Loin de diminuer, le nombre de tweets turcs a même augmenté de 138%, selon l'étude réalisée par la société d'analyse des médias sociaux Brandwatch.

Et outre, plusieurs sites internet turcs ont pu à nouveau diffuser vendredi les extraits d'écoutes téléphoniques que le pouvoir turc voulait précisément empêcher.

Même vidée d'une partie de son effet, la décision du gouvernement a provoqué de nombreuses réactions outrées à l'étranger.

Le département d'Etat américain a jugé la décision "contraire au désir exprimé par la Turquie elle-même d'être un modèle de démocratie". Washington a ainsi exhorté "le gouvernement turc de rétablir l'accès de ces citoyens à Twitter et d'assurer un libre accès à tous les réseaux sociaux".

"Très inquiet", le commissaire européen à l'Elargissement Stefan Füle a rappelé à Ankara, candidat depuis longtemps à l'adhésion à l'UE, que "l'usage des réseaux sociaux est une liberté fondamentale de l'Union européenne".

A Paris, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a dénoncé une mesure "choquante" et "contraire aux libertés d'expression et de communication. Son homologue du gouvernement allemand a rappelé que "dans une société libre, le choix des moyens utilisés pour communiquer appartient aux citoyens, pas à l'Etat".

Amnesty International a également critiqué Ankara, l'appelant à "immédiatement" revenir sur cette "attaque sans précédent contre la liberté d'expression et d'internet en Turquie".

Eclaboussé depuis la mi-décembre par un scandale de corruption sans précédent, M. Erdogan a riposté par de vaste purges dans la police et la justice. Et il a fait voter une série de lois très controversées, dont un texte renforçant le contrôle d'internet en février.

Il accuse ses anciens alliés de la confrérie de l'imam Fethullah Gülen d'être à l'origine des accusations de corruption lancées contre lui pour le déstabiliser.

En Turquie, de nombreuses voix ont vu dans cette décision une confirmation de la dérive autoritaire de M. Erdogan, au pouvoir depuis 2002.

Des célébrités du monde du cinéma comme Mia Farrow et Russell Crowe ont également envoyé des tweets en guise de soutien aux internautes turcs.

BA-pa/gg

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.