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Il y a 50 ans, Constantinople la cosmopolite le devenait un peu moins

Il y a 50 ans, Constantinople la cosmopolite le devenait un peu moins

Dionysis Aggelopoulos dit avoir oublié "tout son turc" mais se souvient encore de chaque mot des crieurs de journaux de "Constantinople" quand le gouvernement d'Ankara décida d'expulser tous les Grecs de la ville, en mars 1964, il y a 50 ans.

"J'allais partir au travail, mon beau-frère est arrivé, il tenait le journal où venait de paraître une nouvelle liste,et mon nom était dessus. Je m'y étais préparé mais j'ai dû m'asseoir pour encaisser le choc", raconte avec précision, un demi-siècle après à Athènes, ce solide octogénaire.

Dionysis Aggelopoulos faisait partie de la communauté des Grecs d'Istanbul, composée de citoyens de nationalité grecque et de Grecs citoyens turcs, "la plus ancienne communauté de la ville", décrit l'historien Samim Akgönül, née dans le creuset d'identités de l'empire byzantin puis de l'empire ottoman.

Une communauté qui comptait environ 150.000 membres après la première guerre mondiale et réduite aujourd'hui à moins de 3.000 personnes avec une date clef: le 16 mars 1964, lorsque le gouvernement décida d'expulser d'Istanbul les douze mille habitants de citoyenneté grecque encore présents dans la ville.

Plus de trente mille Grecs, citoyens turcs les suivront, époux, épouses, enfants, amis, poussés à partir par la montée des tensions. Tous laisseront dans leur ville leurs biens, leur passé.

"Une véritable amputation dans la culture et l'histoire de la métropole turque qui comptait alors un million d'habitants", estime M. Akgönül enseignant-chercheur au département d'études turques de l'université de Strasbourg et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Une blessure aussi pour ces Grecs de Turquie, qui ne cesseront de s'identifier à leur terre d'origine, "Konstantinoupoli" qu'ils appellent simplement "I poli", la ville.

Le père de Dionysis Aggelopoulos y était arrivé au début du 20ème siècle depuis son île d'origine, Zanthe, en mer ionienne, à l'opposé des rivages turcs. Dionysis, né en 1928, y est devenu "employé" d'un magasin "d'étoffes", raconte-t-il en semant dans son récit quelques mots de ce français si prisé de Constantinople la cosmopolite.

"L'expulsion des Grecs de Constantinople s'inscrit dans la continuité du processus d'homogénéisation de la population en Turquie et de la montée du nationalisme auquel s'ajoute, après la seconde guerre, la question chypriote", décrypte Samim Akgönül.

Le premier acte s'est joué en 1923, lors du règlement de la guerre gréco-turque via un gigantesque échange de population concernant des centaines de milliers de Grecs de Turquie expatriés en Grèce et de musulmans du nord de la Grèce et des îles contraints de s'installer de l'autre côté du Bosphore.

À partir des années 1950, le sort de Chypre dégrade les relations entre Grèce et Turquie. "Les Grecs d'Istanbul deviennent une monnaie d'échange", estime M. Akgönül. En 1955, une manifestation destinée à montrer que l'opinion publique turque n'est pas indifférente au sort de Chypre dégénère en émeute. Des centaines de commerces et maisons de Grecs d'Istanbul sont saccagés.

Le 16 mars 1964, les autorités turques dénoncent le traité de 1930 autorisant le maintien des Grecs d'Istanbul. Les expulsions débutent.

"A intervalle régulier, les journaux publiaient la liste des futurs expulsés et les jeunes vendeurs venaient les crier dans les rues", témoigne Dionysis Aggelopoulos qui se souvient précisément de ce 17 juillet où son nom sortit parmi 198 autres.

Il quitte la Turquie une semaine plus tard, avec les deux valises que chaque Grec était autorisé à emporter. Sa femme, Grecque de nationalité turque, le suit quelque temps après.

"J'avais mis un tapis dans ma valise. Les douaniers de l'aéroport ne voulaient pas que je l'emporte. Je leur ai dit que je ne savais pas où je dormirai à Athènes et j'ai pu le garder".

A Istanbul, une exposition commémore jusqu'à la fin mars cette "histoire méconnue en Grèce comme en Turquie", selon Samim Akgönül, l'un de ses organisateurs.

A Chypre, des négociations, interrompues depuis 2012, pour parvenir à une réunification de l'île, ont repris en début d'année.

smk/od/ia

Exposition "20 dolar 20 kilo", jusqu'au 30 mars, Galerie Depo, Tütün Deposu Lüleci Hendek Caddesi No.12 Tophane 34425 Istanbul -

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