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Pour les rescapés, l'obsédant souvenir du 11 mars 2004

Pour les rescapés, l'obsédant souvenir du 11 mars 2004

Dix ans plus tard, Adeniria Moreira ne cesse de penser au bébé qu'elle a perdu, quand le train où elle venait de monter, en banlieue de Madrid, ce matin du 11 mars 2004, a été pulvérisé par une bombe.

"Je ne peux plus passer à pied entre deux voitures garées. J'ai peur qu'il y ait une bombe à l'intérieur", confie Adeniria, une aide soignante brésilienne de 48 ans, assise dans le salon de son appartement bien rangé de Vallecas, un quartier populaire du sud de Madrid.

Alors enceinte de trois mois, elle venait de monter dans un train de banlieue en gare de El Pozo: l'un des quatre convois visés par les dix bombes qui ont explosé à Madrid et dans ses environs ce 11 mars 2004, faisant 191 morts et près de 1.900 blessés.

L'attentat, le plus meurtrier jamais commis sur le sol espagnol, sera revendiqué quelques heures plus tard par un groupe de la mouvance Al-Qaïda.

"Il y avait des morceaux de corps éparpillés. Un bras d'un côté, une tête de l'autre", se souvient Adeniria, un foulard soigneusement noué autour du cou. "Certains avaient du sang coulant du nez, de la bouche. Certains n'avaient plus de vêtements. Plus de chaussures".

Encore et encore, elle revit ces instants qui ont bouleversé sa vie.

Miraculée, elle s'échappe sans blessures de l'épave du train et va dans un centre médical pour se faire examiner, et s'assurer que tout va bien.

C'est seulement trois semaines plus tard qu'elle ressent des contractions et se précipite à l'hôpital, où elle apprend qu'elle a perdu le bébé.

"J'étais en état de choc. Mon mari a très mal pris la nouvelle. Il a pleuré, pleuré, pleuré". "C'était très dur. Je suis restée trois jours à l'hôpital".

"Tous les jours, je pense au bébé que j'ai perdu".

Dix ans plus tard, comme des centaines d'autres survivants, Adeniria continue à combattre les démons qui hantent sa vie.

"Je peux rester des semaines et des semaines sans sortir de chez moi", raconte cette Brésilienne installée en Espagne depuis 16 ans.

Souffrant de stress post-traumatique, elle vit aujourd'hui en prenant des médicaments contre l'anxiété et la dépression. Elle a fait cinq séjours en hôpital psychiatrique.

Son mari, chauffeur de bus, l'aide à élever leur fille de onze ans. L'aînée, âgée de 26 ans, est partie vivre au Brésil.

Adeniria a perdu son travail. Tout comme Eloy Moran, passager d'un autre train parti ce matin là d'Alcala de Henares, une banlieue de Madrid.

L'explosion s'est produite juste avant que le convoi n'entre dans la gare madrilène d'Atocha, projetant les corps déchiquetés sur les voies. Grièvement blessé à la tête, Eloy, aujourd'hui âgé de 65 ans, a perdu l'oeil droit et est devenu sourd.

"J'ai ressenti une pression insupportable dans ma tête. Comme si elle allait exploser comme un ballon", témoigne cet ancien fonctionnaire du ministère de l'Intérieur.

En manteau noir, casquette sur le crâne, il est venu s'asseoir sur un banc près d'une statue érigée en hommage aux victimes, devant la gare d'Alcala de Henares.

Après deux semaines à l'hôpital, il a repris le travail. Sans parvenir à se concentrer, incapable la nuit de trouver le sommeil.

Au bout de deux ans, il a dû admettre qu'il ne pouvait plus travailler et a accepté de partir en retraite anticipée.

"C'était affligeant. J'aimais vraiment mon travail. J'avais fait un si grand effort pour en arriver là et tout partait en fumée".

"Je suis tombé dans une profonde dépression dont je n'ai jamais pu sortir", ajoute-t-il. Deux ans après les attentats, il a commencé à prendre des médicaments contre l'anxiété, et n'est plus jamais monté dans un train de banlieue.

Après un premier procès en 2007, puis un second en appel en 2008, 18 personnes ont finalement été condamnées. Mais Eloy Moran est convaincu que beaucoup de ceux qui ont été impliqués dans les attentats n'ont jamais été arrêtés.

"Cela vous remplit d'amertume et de tristesse", confie-t-il. "Ils sont libres, dans les rues".

ds/sg/jr

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