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Turquie: La minorité alévie prise dans la tempête du scandale de corruption

Turquie: La minorité alévie prise dans la tempête du scandale de corruption

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qui se débat avec des soupçons de corruption qui agitent la Turquie, est confronté à un nouveau problème, celui de la minorité religieuse alévie qu'il est accusé d'insulter dans des révélations d'écoutes illégales.

Parmi les multiples enregistrements sonores diffusés ces derniers jours sur l'internet, sur fond d'une guerre fratricide entre l'élite islamo-conservatrice au pouvoir et une confrérie musulmane, un document met en cause le Premier ministre et son ancien ministre de la Justice, Sadullah Ergin.

M. Erdogan le presse d'intervenir dans la procédure judiciaire afin que Aydin Dogan, un magnat des médias, soit reconnu coupable de ne pas respecter la loi sur les marchés de capitaux.

L'ex-ministre, exaspéré, répond au Premier ministre que la décision de justice, qui ne va pas dans le sens voulu par M. Erdogan, n'est pas étonnante car elle est prononcée par "un juge alévi", ce qui a été dénoncé par cette minorité musulmane libérale comme une insulte.

Les deux hommes ont confirmé mercredi dernier l'authenticité de cet enregistrement, mais insisté en revanche qu'il est "normal" qu'un Premier ministre s'entretienne avec un de ses ministres sur un procès en cours.

La diffusion de cette bande sonore intervient à la suite de la publication le mois dernier par le journal Taraf de documents officiels démontrant la discrimination dont sont victimes les Alévis dans la procédure de recrutement des fonctionnaires

Le quotidien avait rapporté que le gouvernement procédait à un profilage et recrutait des employés en fonction de leurs croyances et de leurs origines ethniques et religieuses.

Estimé entre dix à quinze millions en Turquie (sur 76 millions), les Alévis sont une minorité religieuse très particulière à l'Anatolie et constituent un courant progressiste de l'islam. Dans un pays à forte majorité sunnite, ils peinent à faire valoir leur culte et leur mode de vie libéral.

Déjà très critiques envers la politique du gouvernement concernant leur droit de pratiquer leur religion, ils ont réagi à cette dernière bavure.

"Le gouvernement a ouvert un nouveau front dans la guerre qu'il mène contre les Alévis", a indiqué à l'AFP, membre fondateur de la fondation des Alevis-Bektasi.

Ce militant dénonce une discrimination générale: "Ils ont déjà écarté la plupart des Alévis de la fonction publique, l'armée et de l'appareil judiciaire et il est clair qu'il (le gouvernement) procède à un profilage sur les derniers restants".

Le rituel des Alévis est très différent de celui sunnite. Les Alévis, très laïcs, prient homme et femme ensemble et ne vont pas à la mosquée mais au Cemevi (maison de réunion), et ne pratiquent pas le jeûne du Ramadan,

Cafer Solgun, écrivain alévi estime que la fuite de cet enregistrement met la lumière sur une "discrimination flagrante".

"Cela montre que les Alévis ne sont les bienvenus dans aucune sphère de la vie publique. Les préjudices et oppression de l'Etat n'ont pas changé d'un pouce durant le mandat d'Erdogan", qui dirige la Turquie depuis 2002, estime l'intellectuel.

Une oppression qui a pris parfois un tournant dramatique. En 1993 des islamistes avaient mis le feu à un hôtel de la ville de Sivas (centre-est). Trente-sept personnes y ont trouvé la mort, parmi lesquelles 33 intellectuels alévis qui s'y étaient regroupés à l'occasion d'un festival culturel.

La communauté s'était indignée en octobre d'une série de réformes démocratiques du régime qui renforçait les droits de la minorité kurde sans reconnaître les Cemevi comme un lieu de culte officiel, privant la minorité de fonds publics.

La décision de M. Erdogan de baptiser le futur troisième pont sur le détroit du Bosphore du nom de "Sultan Yavuz Selim" a été perçu comme un nouveau signe de mépris. Selim Ier (1512-1520) est en effet le sultan responsable de massacres et d'exactions contre les Alévis.

"Les Alevis ont toujours défendu les libertés, pour cette raison ils ne voteront pas pour l'AKP (Parti de la justice et du développement, au pouvoir)", estime M. Balkiz.

Le scrutin municipal aura valeur de test pour le pouvoir de M. Erdogan, qui a été affaibli par les enquêtes de corruption lancées en décembre et la fronde qui a visé son régime accusé d'"autoritarisme" en été dernier.

Un rapport officiel cité par la presse locale souligne que les Alévis ont manifesté en masse (78% des manifestants) durant la vague de contestation antigouvernementale de juin 2013.

Sur les huit victimes de la répression gouvernementale, six étaient alévies.

dg-ba/abk

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