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Procès Rwanda: vingt ans de traque du génocide à la barre

Procès Rwanda: vingt ans de traque du génocide à la barre

"Chacun essaie de survivre à sa manière. Pour ma part je me soigne par l'action et par cette soif de justice". Dafroza Gauthier est pour quelque chose dans le tout premier procès organisé en France sur le génocide rwandais. Vendredi, elle a raconté ce combat devant la cour d'assises de Paris qui juge Pascal Simbikangwa, ex-officier rwandais.

Il y a 20 ans, un bonne partie de sa famille était exterminée là bas, à 7.000 kilomètres de la barre des témoins. "Je ne pourrais pas les citer tous, ils sont trop nombreux, ils étaient innocents et leur seul tort, c'était d'être Tutsi".

En avril 1994, cette ingénieur chimiste venait de regagner Reims, dans l'est de la France, où elle vit toujours avec son mari Alain, directeur tout juste retraité d'un lycée professionnel. Sa mère lui avait fait écourter un séjour à Kigali en lui disant "tu as une famille et des enfants". "Elle ne se faisait pas d'illusions, tout était prêt déjà. Moi, j'ai sauvé ma vie, pas eux".

L'assassinat du président hutu Juvénal Habyarimana le 6 avril sert de déclencheur aux massacres. Le 8, sa mère est tuée, devant l'église où elle se réfugiait, "de deux balles dans le dos". C'est le début de "trois mois de cauchemar, d'impuissance, de manifestations et d'appels au secours" et de ce "sentiment de culpabilité qui vous tient où que vous soyez".

Alain et Dafroza Gauthier se sont croisés lorsqu'il était jeune coopérant au Rwanda de 1970 à 72, fasciné par les missionnaires pères blancs. Ils se sont retrouvés en 1974. Elle était réfugiée en Belgique, chassée de son pays, déjà par des massacres anti-tutsi, "citoyens de seconde zone, étrangers chez nous". Ils se sont mariés en 1977, ont eu trois enfants, se sont construits "une vie de famille de province tranquille".

Jusqu'à ce basculement du "crime des crimes", qu'ils ont compensé par "cet engagement dévorant" de la traque aux responsables présumés réfugiés en France, souvent accusée d'avoir soutenu le régime génocidaire.

Ils assistent en 2001 au premier procès organisé en Belgique sur la tragédie rwandaise et décident de fonder le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). A ce jour, ils ont une vingtaine de plaintes à leur actif. Car "le parquet n'a jamais poursuivi", regrette Alain Gauthier, qui assume donc d'avoir dû "un peu nous substituer à la justice" pour traquer ceux "qui ont trouvé un accueil complaisant sur le sol français".

Il raconte les "enquêtes" sur le terrain, dans les collines rwandaises, pour recueillir les témoignages qui viendront étayer leurs plaintes. Mais aussi comment, après la découverte d'une fosse commune dans la paroisse où sa belle-mère a péri, il s'est joint aux femmes pour "laver les os un à un, enlever la terre des orbites, donner une sépulture digne à ceux qui avaient disparu dans l'anonymat".

Avec le CPCR, ils ont eu "deux métiers à temps plein, le génocide c'était le soir, c'était le week-end, c'était toutes nos vacances". D'ailleurs ils ont remercié leurs enfants devant la cour d'assises, de tout ce temps "qui ne leur a pas été donné à eux".

Pascal Simbikangwa, contre lequel le CPCR a porté plainte après son arrestation à Mayotte, île française de l'océan Indien en 2008 dans une affaire de faux-papiers, n'est peut-être pas l'accusé qu'ils auraient souhaité voir comparaître en premier, mais le simple fait que son procès se tienne "est historique et nous espérons qu'il soit le premier d'une longue série".

L'accusé n'a eu de cesse aux audiences de vilipender le CPCR, l'accusant de "corrompre" des faux témoins, d'être des "cultivateurs de preuve", à l'instar de l'association rwandaise des victimes Ibuka.

Dafroza Gauthier a lâché le papier auquel elle s'est accrochée pour "éviter d'être dévorée par l'émotion". Elle se tourne vers le box. "Cette histoire, je la partage avec l'accusé, sans haine et sans esprit de vengeance." Et elle livre la traduction d'Ibuka: souviens-toi.

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