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La frontière afghano-pakistanaise, défi de la lutte anti-polio

La frontière afghano-pakistanaise, défi de la lutte anti-polio

Burqa azur, Shayma défie les menaces des talibans et les théories du complot sur les "méfaits" de la vaccination en faisant immuniser ses quatre enfants contre la polio à la frontière afghano-pakistanaise, rempart stratégique pour freiner la progression de cette maladie dans la région.

Installé au coeur d'un récif montagneux dans l'est de l'Afghanistan, Torkham est un point de passage clef avec le Pakistan qu'empruntent chaque jour des voyageurs susceptibles de faire passer la poliomyélite, maladie contagieuse, d'un pays à l'autre.

La polio est endémique dans seulement trois pays, dont l'Afghanistan et le Pakistan. Si des progrès ont été enregistrés en Afghanistan, avec seulement 14 cas en 2013 contre 80 l'année précédente, le Pakistan est une source d'inquiétude avec 93 cas recensés l'an dernier, contre 58 en 2012.

D'où l'importance d'immuniser les voyageurs à la frontière pour contenir la progression de l'épidémie dans la région. Au poste-frontière de Torkham, ce sont ainsi 1,3 million de doses de vaccins qui sont administrées chaque année aux enfants.

Le vaccin est délivré en quelques secondes: deux gouttelettes, versées directement dans la bouche des enfants de moins de cinq ans, population la plus vulnérable.

Ce geste simple se heurte toutefois à l'hostilité des insurgés talibans, qui soupçonnent les vaccinateurs d'être des espions depuis la fausse campagne contre l'hépatite orchestrée par la CIA ayant permis de confirmer la présence d'Oussama Ben Laden en sol pakistanais, et aux rumeurs extravagantes sur une soi-disant dangerosité du vaccin accusé par des mollahs de contenir du porc ou de rendre infertile.

Plus d'une quarantaine de vaccinateurs et de membres des forces de sécurité devant les protéger ont été tués depuis un an et demi dans les zones d'influence talibane au Pakistan, principalement près de la frontière afghane.

Mais il en faudrait plus pour décourager Shayma. "Il est faux de dire que la vaccination est dangereuse", dit cette femme originaire de Peshawar, carrefour du nord pakistanais considéré par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme "le plus grand réservoir mondial" de polio.

"Au contraire, je crois que cela peut permettre de stopper l'épidémie. Nous sommes là pour faire vacciner nos enfants, pour qu'ils ne soient pas handicapés", insiste-t-elle d'un filet de voix sous sa burqa.

Las! Tout ne se passe pas toujours aussi bien: un vieil homme s'emporte contre les vaccinateurs qui le sollicitent, et refuse que son enfant soit immunisé.

"Il arrive que l'on tombe sur des gens comme ça, mais la majorité prend ça bien", explique Asifullah, chargé de superviser les vaccinations à Torkham.

Le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef) intervient également à Jalalabad, grande ville de l'est afghan, à environ deux heures de route de Torkham. Là aussi, certaines croyances font long feu: un homme affirme que le vaccin rendra ses enfants "méchants" et il faut toute la force de persuasion d'une d'employée de l'Unicef pour le convaincre de ses bienfaits.

Pour tenter de faire taire les rumeurs, "nous avons dû fermer trois stations de radio qui diffusaient des campagnes mensongères sur la polio", assure Faizullah Kakar, conseiller spécial du président afghan sur la polio. "Nous essayons aussi d'arrêter la circulation de livres affirmant que les vaccins sont faits avec du porc et peuvent provoquer l'infertilité".

Et quand ce n'est pas la rumeur, ce sont les talibans qui font obstacle. Les violences persistantes en Afghanistan, malgré plus de 12 ans d'intervention occidentale, compliquent l'accès des vaccinateurs à des zones sensibles du pays, assurent les responsables.

"A cause des talibans, nous avons 20.000 enfants qui n'ont pas pu être vaccinés depuis plusieurs mois dans les provinces de Nangarhar et de Kunar", se plaint M. Kakar. "Si la maladie touche la capitale, elle risque de se répandre rapidement", dit-il.

Un risque illustré par la découverte en février du premier cas dans la capitale afghane depuis 2001: une petite fille de trois ans, contaminée par son père venant du Pakistan.

"Si nous étions en paix, nous pourrions mettre fin très rapidement à la polio", soutient M. Kakar. "Sans paix, rien n'est moins sûr".

bgs/eg/gl

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