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Crimée: une impression de "déjà vu" pour des vieux Japonais chassés des Kouriles

Crimée: une impression de "déjà vu" pour des vieux Japonais chassés des Kouriles

Aux frontières est de la Russie, la crise en Crimée a comme un parfum de déjà vu pour quelques milliers de vieux Japonais: ils ont été chassés des îles Kouriles par les forces soviétiques à la fin de la guerre.

70 ans plus tard, le Japon et la Russie n'ont toujours pas signé de traité de paix, uniquement à cause de ce mince collier d'îlots qui relie la pointe sud du Kamtchatka russe et la côte nord de l'île japonaise de Hokkaido.

"Quand je regarde à la télévision ce qu'il se passe en Ukraine et en Crimée, je n'ai pas l'impression qu'on parle des ennuis de quelqu'un d'autre", dit à l'AFP Kajiko Odajima, une octogénaire qui vivait à quelques encâblures de la côte de Hokkaido, sur l'île de Shikotan, jusqu'à l'arrivée des troupes soviétiques en 1945.

Quelque sept décennies plus tard, Tokyo revendique toujours quatre îles (les plus proches de Hokkaido), qu'il appelle "les territoires du Nord": Etoforou, Kunashiri, Shikotan et Habomai. Et tous les ans, les autorités organisent une journée de commémoration/revendication.

Pour Moscou, ce sont les Kouriles du Sud.

Trois jours après la capitulation du Japon le 15 août 1945, les forces soviétiques avaient envahi les îles Kouriles à partir du Kamchatka. Au terme des combats, les quelque 17.000 Japonais de l'archipel furent chassés ou déportés dans des camps.

"Je ne peux pas m'empêcher de relier ce qui arrive en Crimée à ce que nous avons vécu ici", raconte Isamu Tanaka, 85 ans, qui lui aussi vivait sur l'île de Shikotan.

De ces témoignagnes, il se dégage une sorte d'empathie, même si l'époque et les circonstances sont différentes.

"Les victimes? Ce sont toujours les petites gens. Je ne souhaite cela à personne", maugrée Mme Odajima.

Elle se souvient encore comme si c'était hier du jour où des soldats soviétiques firent irruption dans sa salle de classe.

Il ne reste plus qu'environ 7.000 ex-îliens, mais beaucoup espèrent toujours revenir "chez eux".

"Cela a été dur, mais j'espère mourir sur mon île", témoigne un ancien maître d'école qui vit sur l'île de Hokkaido.

"J'aime bien les Russes, mais j'en veux tout de même à leur pays", ajoute-t-il.

"La question de la Crimée, c'est un peu comme les Territoires du Nord, les graines d'un conflit sont semées", estime de son côté Shigeki Hakamada, un professeur de l'université Aoyama de Tokyo.

Selon lui, "(le président Vladimir) Poutine ne transigera jamais sur la question de l'Ukraine, car c'est vital pour ses projets" d'influence sur l'ensemble du territoire eurasien.

Sakae Kashiwabara, un ancien de 82 ans qui vivait sur Habomai, n'est pas optimiste: "je ne peux toujours pas avoir confiance dans la Russie. J'ai l'impression que ce pays est imprévisible".

Et pour beaucoup d'îliens, le bras de fer entre l'Occident et la Russie autour de l'Ukraine et la Crimée risque de voir leur rêve de retourner un jour sur "leurs" îles s'éloigner un peu plus.

"Les discussions entre le Japon et la Russie (à propos des Kouriles, ndlr) avancent bien, mais j'ai peur que l'affaire de l'Ukraine ne les complique", témoigne le vieux Isamu Tanaka.

Alors que l'actuel Premier ministre Shinzo Abe s'est très nettement rapproché de Moscou depuis un an, avec notamment cinq rencontres avec Vladimir Poutine, Tokyo s'est aligné sans ciller sur Washington pour signer le communiqué du G7 annonçant la suspension des réunions préparatoires au G8 prévu en juin à Sotchi.

L'"affaire ukrainienne" pourrait donc bien compliquer la donne. "M. Abe est dans un dilemme difficile: d'un côté il doit être solidaire de l'Occident, en tant que membre du G7, de l'autre il veut absolument maintenir le dialogue Japon-Russie, alors que celui avec la Chine et la Corée du Sud est coupé", estime le professeur Hakamada.

La Russie n'est que le 15e partenaire commercial du Japon, mais lui fournit 10% de son gaz naturel liquéfié, un argument de poids quand on sait que le Japon est pratiquement dépourvu de ressources en énergie et que tous ses réacteurs nucléaires sont à l'arrêt actuellement.

si-jlh/kap/jr

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